10048e séance – matin
CS/16227

Syrie: le Conseil de sécurité partagé entre l’espoir d’un « renouveau » et la dénonciation de la poursuite des opérations militaires israéliennes

Le Conseil de sécurité a tenu, ce matin, sa séance d’information mensuelle sur la Syrie. Treize jours après avoir rayé les noms du Président de transition syrien et de son ministre de l’intérieur de la liste des sanctions de l’ONU, il a entendu l’Envoyée spéciale adjointe du Secrétaire général pour ce pays appeler les nouvelles autorités à faire de la transition politique « une réussite pour le peuple syrien », tout en déplorant la poursuite des opérations militaires israéliennes. Une dénonciation reprise par nombre des membres de l’organe et par la Syrie elle-même, selon laquelle Israël cherche à « saper les autorités légitimes et nuire à la paix civile ».

Intervenant depuis Oslo, où elle participait à une réunion organisée par l’Union européenne et la Norvège sur la situation humanitaire en Syrie, après s’être récemment rendue sur place, Mme Najat Rochdi a salué l’adoption par le Conseil de la résolution 2799 (2025), qui a levé les sanctions visant le Président Ahmed Al-Sharaa et le Ministre Anas Hasan Khattab. Elle a également pris note de la décision prise par les États-Unis de suspendre pour six mois supplémentaires les restrictions imposées par leur loi dite « César », avant d’insister pour que soient levées toutes les sanctions secondaires qui entravent la reconstruction et la relance de l’économie syrienne.

Des attentes multiples et des avancées

Alors que des tensions perdurent à Deïr el-Zor et que de graves affrontements ont eu lieu aux abords de Soueïda, l’Envoyée spéciale adjointe s’est alarmée de la présence continue de groupes terroristes et de combattants étrangers sur le sol syrien. Prenant acte de l’adhésion de la Syrie à la Coalition mondiale contre Daech, elle a estimé que la paix dépendra largement d’une réforme du secteur de la sécurité et de programmes crédibles de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR), mais aussi de progrès en matière de responsabilité et de justice transitionnelle.

À cet égard, elle a pris note de la tenue du premier procès pour les crimes commis lors des événements côtiers de mars, ainsi que des promesses de redevabilité faites par la commission nationale d’enquête sur les événements de Soueïda, en juillet. L’ONU est prête à aider les commissions nationales syriennes sur ces questions, a-t-elle affirmé, se disant toutefois inquiète des informations faisant état d’enlèvements et de disparitions forcées.

Sur le plan politique, Mme Rochdi a déclaré attendre la nomination par le Président Al-Sharaa du tiers restant des 210 sièges de l’Assemblée populaire de transition. Plaidant pour une inclusion effective lors des prochaines étapes de la transition, elle a aussi souligné l’importance d’élaborer une Constitution permanente et de tenir des élections libres et équitables. Elle a d’autre part estimé que des progrès supplémentaires sont nécessaires pour mettre en œuvre l’accord du 10 mars entre les autorités intérimaires et les Forces démocratiques syriennes (FDS), même si ces dernières ont réaffirmé leur engagement à intégrer l’État syrien. De même, elle a appelé à progresser dans la mise en œuvre de la feuille de route pour Soueïda, laquelle doit, selon elle, prendre en compte les inquiétudes des Druzes.

Israël accusé d’entraver l’action des nouvelles autorités

Dans ce contexte, la haute fonctionnaire a déploré que les opérations militaires et les incursions israéliennes en territoire syrien se poursuivent, avant d’appeler à ce que ces violations de la souveraineté de la Syrie et du droit international cessent et à ce que l’Accord de dégagement de 1974 soit respecté.

Sur cette même ligne de fermeté, un grand nombre de membres du Conseil ont condamné l’attitude d’Israël. Tout en dénonçant la persistance des menaces terroristes provenant de Daech, d’Al-Qaida et de groupes affiliés, la Fédération de Russie s’est inquiétée des « actions illégales » d’Israël sur les hauteurs du Golan, l’accusant de vouloir créer une « zone tampon ». Toute initiative visant à créer des zones autonomes, à modifier la démographie ou à influencer le processus politique syrien depuis l’extérieur est « illégitime », a renchéri l’Iran. L’Algérie, qui s’exprimait au nom des A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana), a quant à elle rappelé que, conformément à la résolution 497 (1981), le « Golan syrien occupé » fait partie intégrante de la Syrie.

Le représentant algérien a également exprimé l’indignation des A3+ après la visite effectuée ce jour dans le sud de la Syrie par le Premier Ministre et le Ministre de la défense israéliens, « sans coordination et sans information ni notification aux autorités syriennes ». Exigeant que ces violations cessent immédiatement, il a enjoint à Israël de se retirer de l’ensemble du territoire syrien, rejoint par le Maroc, au nom du groupe des États arabes, le Pakistan et la Türkiye, mais aussi par le Danemark et la Slovénie.

En poursuivant son « agression systématique », en violation de l’Accord de 1974, Israël « s’ingère dans les affaires intérieures de la Syrie », a pour sa part accusé le délégué syrien, assurant que, « malgré ces provocations », son gouvernement reste attaché au règlement pacifique de toute préoccupation légitime. Il a cependant condamné à son tour la visite de hauts responsables israéliens dans le sud de son pays, avant d’appeler le Conseil à prendre des « mesures fermes » pour mettre un terme à l’occupation israélienne.

Feuille de route syrienne contre dispositif de sécurité israélien

En réponse, le représentant d’Israël a dit la fierté de son pays d’avoir « créé les conditions » de la libération de la Syrie, tout en mettant à mal les ambitions nucléaires de l’Iran et les infrastructures militaires du Hezbollah. Selon lui, l’espoir d’un « renouveau » de la Syrie doit s’accompagner d’actes attestant la volonté des nouvelles autorités de protéger les minorités druze, alaouite, kurde et chrétienne. « Prouvez-nous que la Syrie se détourne de l’extrémisme et du radicalisme », a-t-il lancé à son homologue syrien, lequel a rétorqué que son pays s’est doté d’une feuille de route pour répondre aux attentes du peuple syrien, tant sur le plan politique que judiciaire.

Quant aux Druzes, victimes de massacres dans les régions côtières, ils font partie de la société syriennes et plusieurs sont membres du Gouvernement de transition, a glissé le délégué syrien, expliquant que la Syrie a apporté des « preuves » de sa bonne foi et entend parvenir à un accord de sécurité avec Israël.

Dans une ultime reprise de parole, le représentant israélien a affirmé que son pays a tiré « les enseignements du Liban » et ne permettra pas à une milice de s’établir à sa frontière. « Nous sommes une nation de paix, nous l’avons prouvé avec les accords de paix signés avec les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc, l’Égypte, le Soudan, la Jordanie; inch’allah, nous le ferons un jour avec la Syrie. »

Inquiétudes face à la dégradation de la situation humanitaire

Au-delà des questions de souveraineté et d’intégrité territoriale, les membres du Conseil se sont déclarés préoccupés par la dégradation rapide de la situation humanitaire en Syrie, où près de 9 millions de personnes souffrent de malnutrition. La Russie a dénoncé les sanctions unilatérales, mesures « étouffantes » qui entravent les opérations humanitaires, les transactions financières et même l’achat d’équipements de déminage. « Sans financement urgent et sans levée des obstacles, la situation risque de se détériorer considérablement », a-t-elle mis en garde, tandis que la Chine exhortait les bailleurs de fonds traditionnels à reprendre de toute urgence leur aide à la Syrie.

Intervenant au nom du Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Tom Fletcher, la Directrice de la Division des finances et de la mobilisation au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA)a confirmé qu’à l’approche de l’hiver, le Plan de réponse humanitaire pour la Syrie n’est financé qu’à hauteur de 26%, ce qui entraîne des lacunes persistantes et une réduction de l’aide essentielle.

Malgré la baisse des financements, l’ONU et ses partenaires continuent d’aider en moyenne 3,4 millions de personnes chaque mois en Syrie, soit 24% de plus qu’à la même période l’an dernier, grâce à une meilleure accessibilité et à des conditions opérationnelles améliorées, a précisé Mme Lisa Doughten. Elle a ajouté que cette situation est rendue plus complexe encore par le retour de plus de 1,2 million de réfugiés depuis décembre dernier et par celui de près de 2 millions de déplacés.

Dans ces conditions, elle a dit attendre trois éléments clefs de la part de la communauté internationale: un engagement continu pour désamorcer les tensions persistantes et prévenir de nouvelles violences; davantage de fonds pour les opérations humanitaires; et des investissements concrets, ciblés et de grande envergure dans le développement et la reconstruction.

Aider la Syrie à se reconstruire et à se développer

En dépit des défis persistants que doit relever la Syrie, les délégations se sont projetées vers la phase de reconstruction. Outre la levée de leurs sanctions, les États-Unis ont mis en avant leur « nouvelle approche » destinée à encourager les entreprises et les banques à contribuer au développement du pays. « Nous voulons que la Syrie remporte de grands succès », a déclaré la représentante américaine, selon laquelle la suspension de la loi « César » permettra aux partenaires étrangers d’investir dans l’avenir du pays. Elle a également appelé toutes les parties syriennes à se conformer à la feuille de route pour Soueïda afin de soutenir la reconstruction et de parvenir à la réconciliation nationale.

De son côté, la Chine a dit attendre des nouvelles autorités syriennes qu’elles s’engagent dans une reconstruction reflétant la volonté de la population nationale. Constatant que l’économie syrienne est « en ruines », elle a affirmé vouloir appuyer le pays sur la voie du développement.

Au nom des A3+, l’Algérie a salué la récente déclaration du Fonds monétaire international (FMI), qui a relevé les premiers signes d’une reprise économique en Syrie et pris note de la volonté de Damas de renforcer la coopération dans un avenir proche. « Avec la levée des sanctions unilatérales, nous invitons les acteurs du secteur privé à explorer les opportunités en Syrie », a-t-elle lancé, à l’instar de plusieurs autres membres du Conseil.

Pour la France, la Syrie aura besoin dans les prochains mois d’un soutien accru pour les principaux chantiers de sa reconstruction, à savoir la réconciliation et la pleine intégration de toutes les communautés; la construction d’un État démocratique, ouvert aux femmes et faisant sa place à la société civile; et la consolidation des mécanismes de justice transitionnelle.

Le représentant français a ajouté à cette liste la lutte contre le terrorisme, le développement économique et l’intégration régionale, sujets que la prochaine mission sur le terrain en Syrie du Conseil de sécurité permettra d’aborder. Selon lui, le Conseil se rendra également au Liban et y évoquera la relation renouvelée entre les deux pays. Dans cet esprit, il a espéré que les discussions en cours entre Israël et la Syrie aboutiront à un accord de bon voisinage et de respect mutuel.

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