10045e séance - matin et après-midi
CS/16224

Conseil de sécurité: l’insécurité alimentaire examinée comme facteur de conflit, mais aussi comme impératif pour la consolidation de la paix

« La famine n’est jamais une conséquence naturelle des conflits, c’est un choix, le choix de violer le droit et de trahir notre humanité commune. » Tel est le constat sans appel du Président sierra-léonais Julius Maada Bio, qui présidait aujourd’hui un débat public cherchant à mettre en évidence que « la sécurité alimentaire est une question de sécurité et de paix, et non une question humanitaire secondaire », et donc une question dont doit se saisir le Conseil de sécurité.

Le mandat de ce Conseil est le maintien de la paix et de la sécurité internationales, et il ne peut y avoir de paix là où les populations meurent de faim, ni de sécurité là où la faim alimente le conflit, a confirmé la Vice-Secrétaire générale, Mme Amina J. Mohammed.

La réalité est irréfutable: de Gaza au Sahel, du Soudan à l’Ukraine, en passant par certaines régions d’Haïti, la faim est devenue une arme de guerre, un état de siège silencieux qui tue bien après que les armes se sont tues, a observé le Président Bio.

L’alerte précoce couplée avec une réaction rapide

L’année 2025 marque un triste record: « c’est la première fois qu’une famine, provoquée par un conflit, est confirmée plus d’une fois en une seule année », s’est inquiété M. Máximo Torero, Économiste en chef de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Pourtant au Soudan comme à Gaza, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire de la FAO avait émis des signaux d’alerte précoce et appelé à une action immédiate pour éviter le pire, a-t-il rappelé.

L’Envoyé spécial de l’Union africaine pour les systèmes alimentaires, M. Ibrahim Assane Mayaki, a d’ailleurs demandé que les systèmes d’alerte précoce et de prévention des conflits intègrent des indicateurs de sécurité alimentaire tels que ceux du Cadre intégré de la FAO, afin de permettre un engagement diplomatique et une action ciblée en temps opportun.

Venue confirmer les chiffres alarmants, la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence, a rappelé qu’il est question de 17 millions de personnes souffrant de la faim au Yémen; d’une production agricole paralysée par des infrastructures endommagées et des déplacements massifs en Syrie; et de 21 millions de personnes en insécurité alimentaire aiguë au Soudan avec de vastes zones inaccessibles. Mme Joyce Msuya a également concédé qu’à Gaza, malgré le cessez-le-feu, les entraves à l’acheminement d’une aide vitale persistent en raison de blocages aux frontières et d’obstacles bureaucratiques.

Des systèmes alimentaires résilients, à protéger en cas de conflit

« Les ventres vides alimentent le désespoir, le désespoir alimente les déplacements et la violence, et le résultat est l’instabilité et souvent la destruction des systèmes mêmes qui produisent la nourriture », a tranché la Vice-Secrétaire générale qui a reconnu que les conflits armés provoquent une insécurité alimentaire aiguë. Elle a argué que la voie vers la paix passe par des systèmes alimentaires résilients et durables. Pour les mettre en place, il faut opérer un changement fondamental et passer d’une aide à court terme à une transformation à long terme. Il faut aussi opérer d’urgence un investissement stratégique, a argué Mme Amina J. Mohammed, soutenue en cela par ses collègues de la FAO, du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et la plupart des plus de cinquante autres intervenants.

Pour y arriver, plusieurs pistes ont été identifiées par les délégations. Tout d’abord il faut protéger les systèmes alimentaires en période de conflit, ce qui signifie qu’il faut intégrer la protection des biens alimentaires civils (champs, troupeaux, installations de stockage, moulins, sources d’eau et d’énergie utilisées pour l’agriculture) dans les mandats et régimes de sanctions du Conseil.

Institutionnaliser l’alerte précoce est un autre impératif. Cela suppose des rapports réguliers de l’ONU sur les impacts des conflits sur les systèmes alimentaires et l’accès humanitaire, de manière à permettre au Conseil d’agir avant qu’une famine ne survienne.

L’obstruction des secours humanitaires, le détournement et la rétention délibérée de l’aide alimentaire comme tactique de guerre doivent être condamnés et sanctionnés, ce qui signifie qu’il faut veiller à appliquer scrupuleusement les résolutions pertinentes, et assurer la reddition de comptes.

Appels aux responsabilités et aux financements

Résumant les enjeux, le Danemark a appelé le Conseil à passer de la réaction aux crises à leur prévention, en associant l’alerte précoce à l’action précoce. Même si nous ne sommes pas, et ne devons pas devenir, un « Conseil humanitaire », nous avons la responsabilité particulière d’agir lorsque l’accès humanitaire est délibérément refusé, a déclaré sa représentante, qui exprimait un sentiment très largement partagé.

L’importance de relier le financement de la consolidation de la paix à la sécurité alimentaire a également été soulignée, car des infrastructures rurales solides et une agriculture intelligente face au climat sont des dividendes essentiels de la paix, et non des options.

Sur ce point, la Somalie, la Sierra Leone et d’autres pays africains ont appelé la communauté internationale à soutenir les mécanismes africains comme la Déclaration de Kampala de l’Union africaine ou encore la Réserve régionale de sécurité alimentaire de la CEDEAO et son réseau d’alerte précoce et de réponse (ECOWARN).

Ces cadres africains partent du constat qu’investir dans la résilience, c’est investir dans la paix et que les systèmes alimentaires durables peuvent servir de pont entre le développement et la consolidation de la paix, en aidant les sociétés à passer de la dépendance à l’autonomie. La Déclaration de Kampala prévoit de réduire la malnutrition de 25%, d’augmenter la production agroalimentaire de 45% et de réduire de moitié l’extrême pauvreté d’ici à 2035, a précisé l’Envoyé spécial de l’Union africaine, appelant à soutenir les ambitions de Kampala par la paix, des partenariats et un engagement global continu.

La Chine a plaidé pour une gouvernance agroalimentaire équitable et la création d’un ordre alimentaire plus juste. Sur ce point, elle a reproché à « un pays développé d’avoir renoncé à ses engagements et de s’opposer à la réalisation du Programme 2030, ce qui est un véritable camouflet pour la communauté internationale ».

Solutions politiques et respect du droit international

Rappelant que « depuis longtemps, les États-Unis assument le fardeau financier de l’aide », le représentant de ce pays a exhorté les autres bailleurs de fonds à revoir à la hausse leur assistance. Selon lui, seules les solutions politiques peuvent permettre de parvenir à la paix et de tourner une fois pour toutes la page de l’insécurité alimentaire. Ces solutions politiques durables doivent intégrer la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau et la relance des moyens de subsistance dans les processus de paix, a argué la Suisse.

S’appuyant sur le droit international humanitaire, la plupart des délégations ont condamné l’usage de la faim comme arme de guerre. Elles ont exigé le respect de ce droit, l’accès humanitaire sans entrave et la reddition de comptes pour toute violation. Le Conseil doit montrer l’exemple en veillant à ce que ses décisions et ses débats reflètent la finalité protectrice du droit international humanitaire et rejettent les interprétations politisées ou sélectives, a souhaité le Comité international de la Croix-Rouge.

Lui faisant écho, le Président de la Sierra Leone a conclu son intervention en déclarant: « Plantons les graines de la justice, arrosons-les avec compassion et protégeons-les avec courage, afin que la paix puisse prendre racine non seulement dans nos résolutions, mais aussi dans la vie quotidienne de ceux que nous servons. »

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