Conseil de sécurité: le mandat de l’opération militaire EUFOR ALTHEA en Bosnie-Herzégovine est renouvelé dans un contexte de crise politique
Le Conseil a adopté aujourd’hui, à l’unanimité, la résolution 2795 (2025), qui renouvelle, pour une période de 12 mois, l’autorisation donnée à l’Union européenne (UE) pour la force multinationale de stabilisation EUFOR ALTHEA en Bosnie-Herzégovine. Les débats ont été marqués par l’évolution de la récente crise politique en Republika Srpska (l’une des deux entités du pays), mais aussi par de vives critiques de l’action du Haut-Représentant pour la Bosnie-Herzégovine, ainsi que par l’avenir européen de ce pays –le Conseil européen ayant ouvert les négociations d’adhésion du pays à l’UE il y a un petit peu plus d’un an, en mars 2024.
La Grèce, qui présentait le projet de résolution, a tenu à saluer l’opération militaire de l’Union européenne en Bosnie-et-Herzégovine (EUFOR ALTHEA) pour son rôle crucial, dès sa création en 2004, en vue de maintenir la sécurité non seulement en Bosnie-Herzégovine, mais aussi dans toute la région.
La déléguée grecque a salué de récentes évolutions positives en Republika Srpska, y voyant l’ouverture d’une voie vers la désescalade. Dans ce cadre, elle a exhorté les parties à renoncer aux clivages et aux incitations à la sécession, pour renforcer la structure institutionnelle du pays dans un esprit d’entente mutuelle et de respect du droit.
L’UE s’est faite l’écho de cette déclaration, saluant les derniers développements au sein de l’Assemblée nationale de la Republika Srpska. Elle a toutefois appelé cette dernière à démontrer sa volonté de rupture avec certaines initiatives encore en vigueur, lesquelles iraient à l’encontre de l’ordre constitutionnel et de l’avenir européen du pays. Dans ce cadre, elle a exprimé son intérêt face à l’organisation d’une élection présidentielle anticipée en Republika Srpska. Dans une même veine, la Slovénie a salué des changements positifs dans l’entité, se réjouissant notamment de la confirmation de Mme Ana Trišić-Babić en tant que Présidente par intérim.
Tensions et velléités sécessionnistes
Rompant avec ces commentaires positifs, la Chine a estimé au contraire que le procès de dirigeants de la Republika Srpska devant une cour bosnienne n’a fait qu’attiser les tensions. L’instabilité politique est constante et la situation économique dégradée, avec notamment une inflation élevée, a considéré le délégué. Il a exhorté les deux entités et les trois groupes ethniques de la Bosnie-Herzégovine à mettre l’intérêt du pays au-dessus de toute autre considération.
La Bosnie-Herzégovine a concédé que les six derniers mois ont été marqués par une série de crises politiques, principalement liées au procès contre Milorad Dodik et au verdict rendu par la Cour de Bosnie-Herzégovine à cette occasion. Toutefois, son délégué a rappelé que le jugement se fonde sur des amendements du Code pénal imposés par le Haut-Représentant.
Partant, le délégué bosnien a insisté sur le fait que l’on n’en a pas fini avec les velléités sécessionnistes dans son pays. Évoquant les événements des six derniers mois en Republika Srpska, il a estimé que certains acteurs ont provoqué à dessein des crises politiques, en instaurant des institutions politiques et judiciaires parallèles, dans le but de créer les conditions d’une sécession. S’il a estimé que cette éventualité est contenue sous la pression des acteurs internationaux, il s’est dit convaincu que les activités séparatistes se poursuivront.
Un Haut-Représentant décrié
La Serbie, quant à elle, a déploré que certaines mesures prises par le Bureau du Haut-Représentant se soient substituées à la légitimité démocratique. Selon son représentant, elles auraient affaibli les institutions, approfondi les divisions et érodé la confiance. Dans ce cadre, il a préconisé le consensus entre les deux entités et les trois peuples de la Bosnie-Herzégovine, estimant qu’il s’agit là de la seule voie pour résoudre les problèmes internes et faire progresser les aspirations communes du pays. De même, il a dénoncé l’approche sélective de nombreux acteurs politiques en Bosnie-Herzégovine à l’égard des mesures prises par le Haut-Représentant.
La Russie, pour sa part, a tenu à décrier la « pratique néocoloniale qui a atteint son apogée avec la nomination du "camarade allemand Christian Schmidt" au poste de Haut-Représentant pour la Bosnie-Herzégovine, en violation de la procédure en vigueur et sans l’accord du Conseil ». Estimant que le Conseil de sécurité est le seul organe habilité à approuver le Haut-Représentant, il s’est refusé à reconnaître M. Schmidt comme tel. Il a fustigé un « étranger », lequel aurait imposé de soi-disant « décisions » aux peuples d’un autre pays.
À ce titre, le représentant russe a demandé « aux pays occidentaux de mettre immédiatement fin à ces expériences et de cesser de s’ingérer dans les affaires intérieures de ce pays ». La question de la fermeture rapide du Bureau du Haut-Représentant est d’actualité depuis longtemps, a-t-il dit.
Pour sa part, la Bosnie-Herzégovine a estimé que les attaques ad personam contre le Haut-Représentant ont en réalité pour cible l’existence même de son bureau. « En l’éliminant, c’est tout un pan de l’Accord de paix de Dayton qui serait supprimé », a martelé son représentant, avertissant d’une démarche dangereuse qui pourrait faire s’effondrer l’ensemble de l’Accord. Les conditions de fermeture du Bureau du Haut-Représentant pour la Bosnie-Herzégovine, dites « programme "5 plus 2" », ne sont pas remplies, a-t-il insisté. « Seul existe le désir de certains acteurs nationaux et étrangers d’éliminer le bureau. »
Le représentant de la Bosnie-Herzégovine a toutefois tenu à préciser qu’il fait partie de ceux qui ont vivement critiqué le Haut-Représentant. Il a ainsi déclaré que les décisions de ce dernier étaient prises en coordination avec certains représentants de la communauté internationale et visaient fréquemment à promouvoir les intérêts d’un pays voisin.
L’équilibre ethnique du pouvoir en question
Il a également tenu à s’inscrire en faux contre le concept d’« équilibre ethnique des pouvoirs » préconisé par le Haut-Représentant, suivant lequel son pays serait censé fonctionner. Il a dénoncé une vision « conflictuelle » qui mènerait de fait à un « déséquilibre ethnique des pouvoirs ». Selon lui, cette doctrine entrave la protection des droits humains, les principes de l’état de droit et, partant, l’intégration européenne de la Bosnie-Herzégovine. Dans ce cadre, il a lancé un appel pour que soit nommé un nouveau Haut-Représentant, mais aussi pour que l’on renonce au concept d’« équilibre ou déséquilibre ethnique des pouvoirs ».
La Croatie n’a pas vu les choses de la même façon, son délégué s’inquiétant que la crise prive les Croates de Bosnie-Herzégovine du droit d’élire leur représentant légitime à la présidence. Une telle situation mine la confiance et alimente les divisions, a-t-il estimé avant d’ériger en priorité absolue la réforme de la loi électorale en vue des élections générales prévues en octobre prochain.
Le représentant croate a par ailleurs souligné que son pays reste un partenaire fiable de la Bosnie-Herzégovine, donnant l’exemple des 10 millions d’euros fournis au titre de l’aide d’urgence à la suite des inondations de 2024.
L’adhésion européenne dans le viseur
Emboîtant le pas à la déléguée grecque, pour qui l’intégration européenne de la Bosnie-Herzégovine garantira la sécurité et la prospérité de ses citoyens, le représentant de l’UE a rappelé la récente décision du Conseil européen, en mars 2024, d’ouvrir les négociations d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l’UE. Dans ce cadre, il s’est félicité de la récente soumission de l’Agenda européen des réformes à la Commission européenne.
La France s’est également félicitée de cette initiative, laquelle permettra au pays de bénéficier du plan de croissance pour les Balkans occidentaux. Le délégué français a également tenu à exprimer son espoir face à « un signal témoignant de la volonté de la Bosnie-Herzégovine d’avancer dans le processus d’adhésion à l’Union européenne » à travers la nomination prochaine d’un négociateur en chef.
Il faut tirer parti de la dynamique positive qui s’ouvre en faveur de l’avenir de la Bosnie-Herzégovine dans l’UE, a renchéri la Slovénie en insistant sur la responsabilité qui incombe à la Bosnie-Herzégovine de poursuivre la mise en œuvre des réformes, de renforcer ses institutions et de défendre les valeurs européennes.
Retrouvez les délibérations: LIVE - Conseil de sécurité | Couverture des réunions & communiqués de presse
La situation en Bosnie-Herzégovine
Texte du projet de résolution (S/2025/678)
Le Conseil de sécurité,
Constatant que la situation dans la région de l’ex-Yougoslavie continue de menacer la paix et la sécurité internationales,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
1. Autorise les États Membres, agissant par l’intermédiaire de l’Union européenne ou en coopération avec elle, à créer, pour une nouvelle période de douze mois à compter de la date d’adoption de la présente résolution, une force multinationale de stabilisation (EUFOR ALTHEA) succédant juridiquement à la SFOR avec une structure de commandement et de direction des opérations unifiée, qui remplira ses missions liées à la mise en œuvre des dispositions des annexes 1-A et 2 de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine et de ses annexes (appelés collectivement Accord de paix, S/1995/999, annexe) en coopération avec le quartier général de l’OTAN sur place, conformément aux arrangements qui ont été conclus entre l’OTAN et l’Union européenne et qui lui ont été communiqués par ces deux institutions dans leurs lettres du 19 novembre 2004, par lesquelles elles conviennent que l’EUFOR ALTHEA jouera le rôle principal dans la stabilisation de la paix s’agissant des aspects militaires de l’Accord de paix;
2. Décide de renouveler l’autorisation qu’il a accordée au paragraphe 11 de sa résolution 2183 (2014) pour une nouvelle période de douze mois à compter de la date d’adoption de la présente résolution;
3. Autorise les États Membres à prendre, agissant en vertu des paragraphes 1 et 2 ci-dessus, toutes les mesures nécessaires pour faire appliquer et respecter les annexes 1-A et 2 de l’Accord de paix, et souligne que les parties continuent de répondre à égalité de l’observation des dispositions de ces annexes et qu’elles encourent à égalité les mesures coercitives que l’EUFOR ALTHEA et la présence de l’OTAN pourraient juger nécessaires pour assurer l’application des annexes en question et leur propre protection;
4. Autorise également les États Membres à prendre, à la demande de l’EUFOR ALTHEA ou du quartier général de l’OTAN, toute mesure nécessaire pour défendre l’EUFOR ALTHEA ou la présence de l’OTAN et pour aider ces deux entités à remplir leur mission, et reconnaît à l’une comme à l’autre le droit de prendre toute mesure de protection nécessaire en cas d’attaque ou de menace;
5. Autorise en outre les États Membres, agissant en vertu des paragraphes 1 et 2 ci-dessus et conformément à l’annexe 1-A de l’Accord de paix, à prendre toute mesure nécessaire afin de faire respecter les règles de fond et de procédure organisant la maîtrise de l’espace aérien de la Bosnie-Herzégovine pour l’aviation civile et militaire;
6. Décide de rester saisi de la question.