10022e séance - après-midi
CS/16199

Haïti: face à l’aggravation de la crise dans le pays, les délégations saluent les récentes mesures du Conseil de sécurité

Venu informer le Conseil de « la réalité brutale de la vie quotidienne dans le pays », M. Carlos Ruiz Massieu, le nouveau Représentant spécial du Secrétaire général pour Haïti, qui est Chef du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a déploré le maintien de l’emprise des gangs armés sur la capitale, et même l’extension de leur territoire dans plusieurs départements. Dans ce contexte, plus de 1,4 million de personnes ont été déplacées, a-t-il informé, évoquant une situation d’une ampleur « sans précédent ». Les membres du Conseil ont misé, pour avancer, sur la nouvelle Force de répression des gangs tandis que plusieurs ont insisté sur l’utilité du régime des sanctions.

Le Représentant spécial a fait part de sa préoccupation face à la situation des droits humains en Haïti, mentionnant des abus généralisés non seulement liés aux gangs, mais aussi à des groupes d’autodéfense et même à certaines opérations de sécurité. Dans ce cadre, il a souligné l’emploi systématique des violences sexuelles, « outils de domination et de terreur » des gangs, ainsi que l’érosion des structures familiales et communautaires, qui facilitent le recrutement d’enfants par les organisations criminelles. Il a également mentionné le racket pratiqué par les gangs, les accusant de restreindre l’accès aux services essentiels comme la santé et l’éducation.

Dans ce contexte de crise aiguë, il a rappelé la fin prochaine des dispositions actuelles de gouvernance transitoire, le pouvoir devant être transféré à des dirigeants élus d’ici au 7 février 2026. À ce titre, il a partagé son inquiétude quant à l’absence d’« une voie claire vers la restauration d’une gouvernance démocratique ». Il a toutefois tenu à saluer les consultations des autorités nationales en vue d’un accord sur les conditions nécessaires à la tenue d’élections, espérant qu’elles permettront d’« éviter un vide politique au-delà du 7 février 2026 ». Dans ce cadre, il a rappelé le travail qu’effectue dans ce sens le BINUH, notamment en rassemblant les parties prenantes et en apportant son soutien technique et logistique pour accélérer les préparatifs en vue de la tenue d’élections.

Le Royaume-Uni s’est fait l’écho de ces inquiétudes en encourageant les autorités haïtiennes à travailler urgemment à l’adoption d’une législation nécessaire à l’organisation d’élections libres et impartiales. Il a lancé un appel aux acteurs politiques haïtiens à collaborer de bonne foi pour améliorer la gouvernance, en particulier avant la date butoir du 7 février.

Appui au nouveau Bureau -le BANUH- et à la Force de répression des gangs (FRG)

Le Représentant spécial a également tenu à saluer les récentes actions du Conseil dont l’adoption, le 30 septembre dernier, de la résolution 2793. Ce texte instaure le Bureau d’appui des Nations Unies en Haïti (BANUH), lequel autorise la transformation de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en Force de répression des gangs (FRG) pour une période initiale de 12 mois. De même, il a félicité le Conseil de sécurité pour avoir, le 17 octobre, renouvelé le mandat du Comité des sanctions. « Les sanctions restent un instrument essentiel pour dissuader et mettre fin aux actions néfastes et criminelles des perturbateurs. »

« L’action récente de ce Conseil a lancé un signal rassurant au peuple haïtien, lui rappelant qu’il n’est pas seul et que la communauté internationale se tient à ses côtés durant ces moments critiques. Il est maintenant temps de traduire rapidement ce message en progrès concrets et d’inverser la tendance de la violence », a-t-il déclaré.

Voisine de Haïti, la République dominicaine a elle aussi rendu hommage aux deux récentes actions du Conseil. Avec la résolution 2793, le représentant dominicain a estimé que ses membres sont passés « des délibérations à l’action ». Évoquant les quelque 5 550 agents de la FRG, la clarté de son mandat et l’appui prévisible dont elle bénéficiera, il s’est félicité que la résolution 2793 ne soit « pas un instrument ordinaire ». De même, il a salué le renouvellement du régime de sanctions, soulignant notamment son rôle contre le trafic d’armes et la désignation d’individus supplémentaires responsables du financement de la violence. « Ensemble, ces résolutions constituent la réponse internationale la plus déterminée que ce Conseil ait apportée à Haïti depuis des années », a-t-il salué.

Plusieurs délégations ont, elles aussi, tenu à saluer l’adoption par le Conseil de la resolution 2793, dont le principal intéressé: Haïti. Son représentant a voulu y voir un signe de confiance renouvelée dans la capacité du pays à avancer vers des élections apaisées et une gouvernance démocratique solide. La France, toutefois, a souligné l’importance de travailler sans plus tarder à l’opérationnalisation de la FRG, telle qu’instaurée par la résolution. « Elle permettra de consolider et d’amplifier le travail de la Mission multinationale d’appui à la sécurité », a estimé le représentant.

Sur le même thème, les États-Unis ont jugé la FRG à même de se concentrer sur les difficultés sécuritaires immédiates d’Haïti et de jeter les bases de la stabilité à long terme du pays. Le délégué américain a toutefois tenu à ajouter que le relèvement à long terme dépendra du peuple haïtien. « L’ère de l’impunité des chefs de gangs et de ceux qui sont complices de l’instabilité en Haïti est terminée », a-t-il martelé, assurant que son pays usera de tous les moyens nécessaires -sanctions financières, mises en accusations, arrestations, restrictions à l’émigration et confiscations d’armes- pour lutter contre « l’impunité qui vole l’avenir des enfants haïtiens ».

L’embargo sur les armes, à appliquer avec discernement

Saluant le renouvellement du régime de sanctions par le Conseil de sécurité, plusieurs délégations ont toutefois estimé qu’il faut en faire plus. Le Royaume-Uni, notamment, a jugé nécessaire que de futures sanctions ciblent les soutiens politiques et économiques des gangs. Quant au Panama, il a souhaité une plus solide coopération internationale pour mettre en œuvre le régime. Il a notamment souligné l’importance de l’embargo sur les armes, de la lutte contre le financement illicite et de la coordination régionale face aux réseaux criminels transnationaux qui alimentent la violence en Haïti.

Le représentant chinois, s’émouvant de la situation –« La souffrance de la population haïtienne à cause des gangs fend les cœurs. »– a insisté sur l’importance d’appliquer le régime de sanctions concernant Haïti. Il a regretté que 500 000 armes restent en circulation dans le pays trois ans après qu’un embargo a été prononcé à leur endroit. Dans ce cadre, il a appelé tous les acteurs concernés, notamment le pays principal d’où viennent ces armes, à mener des contrôles plus stricts pour endiguer leur envoi vers Haïti.

La Fédération de Russie a fait écho à la déclaration chinoise en dénonçant l’inaction face au trafic d’armes. Les sanctions ne doivent pas viser ceux qui pourraient jouer un rôle dans la vie politique du pays à l’avenir, a souligné le représentant, ajoutant que « la Russie ne le permettra pas ». Partant, il a fustigé des velléités d’utiliser le Conseil de sécurité pour promouvoir des intérêts propres et rejeter la responsabilité sur autrui. Il a pointé la décision de reformater la MMAS, « qui n’a jamais réalisé son potentiel », en une force de lutte contre les gangs, la FRG, dont les modalités d’action restent inconnues, selon le délégué.

La pire crise humanitaire de la région aggravée par le sous-financement

Par ailleurs, la question du du sous-financement pour répondre à la crise haïtienne a suscité les réactions de quelques intervenants. « Il convient de rappeler qu’Haïti traverse la pire crise humanitaire de la région et l’une des plus graves au monde. Il est inconcevable que, malgré cela, sa réponse reste l’une des moins financées », s’est ainsi insurgé le représentant du Panama. Le Guyana, qui s’exprimait au nom des A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana), a mentionné le même problème, citant notamment le manque de liquidités que rencontre le Plan de réponse humanitaire 2025. Il a exhorté la communauté internationale à accroître son appui aux populations les plus vulnérables.

Le Belize, qui s’exprimait au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), s’est lui aussi indigné que la crise en Haïti ne reçoive pas la visibilité qu’elle mérite. « Cette tragédie en cours n’est pas lointaine, elle se déroule à quelques heures de vol à peine d’ici. Mais elle ne retient pas l’attention du monde comme elle le devrait. Elle n’a pas non plus suscité l’ampleur de la réponse humanitaire que la situation exige », a déploré la représentante, avant de lancer un appel à l’action à la communauté internationale.

Enfin, Haïti a souhaité que le mandat du BINUH comprenne une composante d’appui à la réinsertion des membres de gangs ayant volontairement déposé les armes, ainsi que des enfants et adolescents affectés par la violence. « Aucune solution durable ne saurait être atteinte sans un véritable dialogue interhaïtien fondé sur la solidarité, le respect mutuel et le partenariat constructif », a conclu son délégué.

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