Kosovo: le Conseil de sécurité reste divisé sur l’avenir de la MINUK, tandis que les parties kosovare et serbe se renvoient la responsabilité de l’impasse
Le Conseil de sécurité a tenu, ce matin, sa séance d’information semestrielle sur la situation au Kosovo. Venu présenter le dernier rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), le Représentant spécial adjoint a saisi cette occasion pour appeler Kosovars et Serbes à renforcer la confiance par le dialogue et l’engagement communautaire. Les intéressés se sont à nouveau renvoyé la responsabilité de l’impasse persistante, tandis que les membres du Conseil se divisaient quant à l’avenir de la MINUK.
Responsable de la Mission depuis le départ, fin août, de la Représentante spéciale en titre, Mme Caroline Ziadeh, après trois ans et demi de mandat, M. Milbert Dongjoon Shin a débuté son exposé sur des éléments positifs. Il s’est ainsi félicité du climat pacifique et inclusif dans lequel se sont déroulées les élections locales du 12 octobre, avant d’appeler toutes les parties à le maintenir lors du second tour, prévu le 9 novembre, afin que la population puisse continuer à exercer librement son droit de vote. Alors que les élus locaux s’apprêtent à prendre leurs fonctions, il a formé le souhait que les administrations locales soient mises en place rapidement et sans heurts.
Passant aux aspects négatifs, il a déploré que, depuis les élections législatives de février, les divisions entre partis politiques aient empêché la constitution de l’Assemblée du Kosovo et la formation d’un gouvernement. « Cette impasse a entravé le fonctionnement des institutions centrales », a-t-il regretté, rappelant que 10 membres de l’Assemblée, dont les 9 membres du parti Srpska Lista, la principale formation serbe du Kosovo, ont contesté devant la Cour constitutionnelle l’élection d’un vice-président serbe jugé non représentatif.
Dans ce contexte, il a salué les réunions de dialogue tenues en juin et septembre entre Belgrade et Pristina à Bruxelles. Appelant les deux parties à éviter toute mesure susceptible d’éroder la confiance, il les a aussi encouragées à aborder les questions en suspens de manière constructive et de bonne foi, dans le cadre du dialogue dirigé par le Représentant spécial de l’Union européenne (UE), M. Peter Sørensen, et conformément aux engagements existants.
Évoquant la situation dans le nord du Kosovo, il a jugé positif que les autorités kosovares aient permis à de nombreux résidents disposant de documents délivrés par des institutions serbes de régulariser leur situation au sein du système kosovar. En revanche, il a dit craindre que l’entrée en vigueur, le 1er novembre, des lois sur les étrangers et sur les véhicules engendre des difficultés administratives affectant l’accès aux droits et aux services essentiels. Face à cette situation préoccupante pour les résidents du Kosovo issus de communautés non majoritaires, il a exhorté les autorités de Pristina à associer véritablement toutes les communautés concernées avant d’appliquer des décisions qui affectent la vie quotidienne.
Dialogue de sourds entre Kosovars et Serbes
Invité par le Conseil, le Ministre des affaires étrangères de la Serbie a vu dans le rapport du Secrétaire général une « avancée notable » vers une évaluation plus équilibrée et réaliste de la situation. M. Marko Đurić a toutefois fait remarquer qu’aucun rapport, aussi complet soit-il, ne peut pleinement rendre compte de la gravité de la « tragédie » qui se déroule chaque jour au « Kosovo-Metohija », province autonome serbe. Faisant état de persécutions, d’arrestations et d’actes de violence à motivation ethnique, il a dénoncé la « politique d’intimidation » menée par M. Albin Kurti du Kosovo qu’il a accusé de viser non seulement ses opposants politiques, mais aussi toute la population serbe du Kosovo.
Tout en réaffirmant l’engagement de la Serbie en faveur du dialogue avec Pristina sous l’égide de l’UE, le Ministre a assuré que son pays « ne cherche ni confrontation ni domination, mais la paix fondée sur la justice et le droit international ». Dans ce droit fil, il a exhorté les autorités de Pristina à mettre en œuvre la formation de l’Association/Communauté des municipalités à majorité serbe, comme le prévoit l’accord de Bruxelles. « La Serbie n’est pas un obstacle, nous sommes la solution », a-t-il clamé, répétant que son pays privilégie le dialogue, la diplomatie et la vérité « face à toute tentative d’injustice ou de réécriture de l’histoire ».
Mme Donika Gërvalla-Schwarz du Kosovo a fait entendre un tout autre son de cloche. Présentant son pays comme un « État fort », sur la voie d’une intégration euro-atlantique et doté d’une démocratie occidentale et d’une économie robuste, elle a appelé à un « dialogue réel », et non à « une stratégie de tromperie ou d’agression hybride ».
« Sans le régime [du Président serbe] Vučić, les Balkans seraient un espace de paix et de coopération », a-t-elle martelé, non sans qualifier d’« harmonieuses » les relations entre le Kosovo, l’Albanie, le Monténégro, la Macédoine du Nord et la Bosnie-Herzégovine. Selon elle, Belgrade interfère constamment dans les affaires des autres États de la région, avec l’appui d’une Russie « profondément enracinée » dans la politique, les services secrets, l’économie, les médias et même l’armée de la Serbie. « Ce n’est pas pour rien qu’on appelle la Serbie "la petite Russie" », a-t-elle relevé, jugeant que le problème du Kosovo tient moins aux questions de municipalités qu’à l’influence russe et à la « géopolitique ».
L’avenir de la MINUK en question
Reprochant par ailleurs au rapport sur la MINUK d’être « biaisé », Mme Gërvalla-Schwarz s’est prononcée pour la fermeture de la Mission, au motif qu’elle « ne sert plus à rien » et qu’elle « représente un gaspillage des ressources de l’ONU ». Un avis pleinement partagé par les États-Unis, pour qui les fonctions de la MINUK devraient être prises en charge par des institutions « mieux équipées pour cela ».
Alors que la MINUK est en train de procéder à un examen de ses effectifs, le délégué américain a souhaité que ce processus soit mené avec sérieux, rappelant au passage que plus de 80% du budget de la Mission finance les salaires de son personnel. « Cet examen est une possibilité de rationaliser la MINUK plutôt que de justifier en permanence son existence », a-t-il soutenu, avant de répéter que les États-Unis entendent identifier toutes les dépenses inutiles de l’ONU « dans le but de la faire revenir à sa finalité de base: le maintien de la paix et le règlement des conflits ».
Dans cet esprit, le représentant des États-Unis a dénoncé « ces réunions de pure forme sur la MINUK » qui, loin de faire avancer la paix et la sécurité, « se transforment en plateforme politique pour différents acteurs ».
Son homologue de la Fédération de Russie a défendu un avis diamétralement opposé. Jugeant crucial que la communauté internationale ne relâche pas son attention sur la situation au Kosovo, le délégué a exprimé l’opposition catégorique de son pays à toute réduction de la fréquence ou du format des réunions du Conseil sur cette question, ainsi qu’à toute réduction des capacités budgétaires et humaines de la MINUK. « La Mission, dans des conditions extrêmement difficiles, continue de remplir sa mission importante de promotion de la stabilité dans la région », a-t-il fait valoir, invitant également les membres du Conseil à « analyser en profondeur » la résolution 1244 (1999) « afin de mieux comprendre l’ampleur des violations de ses dispositions » aux dépens de la partie serbe.
De son côté, le Royaume-Uni a jugé « plus que nécessaire » une révision stratégique du rôle, des responsabilités et du financement de la MINUK. Il a été rejoint sur ce point par le Danemark, la Grèce et la Slovénie. Au moment où est présentée l’Initiative ONU80, le Conseil devrait veiller à ce que la Mission soit agile, efficace et adaptée à ses mandats « dans un monde aux ressources limitées et marqué par les crises mondiales », a estimé la délégation britannique. La Chine a, elle, appelé à soutenir la MINUK, eu égard à son « rôle stabilisateur », tandis que la France se disait favorable à une prolongation de son mandat « aussi longtemps que nécessaire », compte tenu de son lien intrinsèque avec la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo.
Des efforts demandés aux deux parties
En effet, a souligné le représentant français, « il n’y a pas d’alternative, ni pour la Serbie ni pour le Kosovo, à la normalisation de leurs relations, clef de leur intégration dans l’Union européenne ». Pour y parvenir, les deux pays doivent respecter les engagements pris dans le cadre des accords facilités par l’UE, notamment l’accord de février 2023 sur la voie de la normalisation, également connu sous le nom d’Accord d’Ohrid.
Prenant acte du bon déroulement du premier tour des élections municipales, l’Union européenne a, pour sa part, insisté sur la nécessité de faire pleinement participer les Serbes du Kosovo, sans condition préalable, dans les quatre municipalités du nord. La délégation a appelé à une « coopération constructive » entre les autorités municipales et centrales, conforme aux attentes de la communauté serbe, aux accords précédemment conclus et au droit kosovar. En outre, elle a encouragé le Kosovo à permettre la réintégration des juges, procureurs, policiers et autres agents serbes du Kosovo dans l’ensemble des institutions qu’ils avaient quittées en 2022.
Dans le même temps, l’UE a dit attendre de la Serbie qu’elle prenne toutes les mesures nécessaires pour identifier, arrêter et poursuivre sans délai, sur la base d’accusations étayées, les auteurs des attaques de 2023 dans le nord du Kosovo. Les actions entreprises jusqu’à présent dans ce domaine demeurent insuffisantes, a-t-elle affirmé. À son tour, le Pakistan a regretté que les responsables des attaques de Banjskë et du canal Ibër-Lepenc, respectivement en 2023 et 2024, n’aient toujours pas été traduits en justice, enjoignant aux parties de tout mettre en œuvre pour endiguer efficacement ces tendances négatives qui engendrent des tensions intercommunautaires.
Si le sort des personnes disparues a été abordé par plusieurs membres, notamment le Panama et la République de Corée, qui y ont vu une clef du rétablissement de la confiance entre les communautés, la question de l’Association/Communauté des municipalités à majorité serbe du Kosovo est revenue dans la plupart des interventions. La Fédération de Russie a dénoncé le non-respect par Pristina d’un engagement pris en 2013, dans le cadre des garanties de l’UE. Pour la délégation russe, la responsabilité de cette situation incombe aussi aux capitales occidentales, qui « continuent de céder à leurs protégés », lesquels « tentent d’imposer une solution au problème du Kosovo selon leurs propres conditions ».
Face à l’absence persistante de progrès dans ce dossier, la Sierra Leone a appelé Pristina à relever ce défi et Belgrade à maintenir son engagement en faveur d’un dialogue constructif. Le « nœud du problème » se trouve dans les actions unilatérales des autorités kosovares, a pointé la Chine, à l’unisson de la France ou encore du Guyana, inquiets des effets négatifs sur la vie quotidienne de la population serbe du Kosovo de la fermeture par le gouvernement kosovar de structures administratives servant cette communauté.
Dans ce contexte, une majorité de membres du Conseil ont salué la MINUK pour ses efforts de renforcement de la confiance et du dialogue interethnique, ainsi que la coopération entre la Mission, l’équipe des Nations Unies au Kosovo et les partenaires internationaux, notamment la mission « État de droit » de l’Union européenne (EULEX) et la Force internationale de sécurité au Kosovo (KFOR). En dépit des contraintes financières, la MINUK continue de promouvoir la confiance et la cohésion sociale, a noté le Représentant spécial adjoint, avant de rendre hommage au commandant sortant de la KFOR, le général Enrico Barduani, pour sa contribution à la gestion des crises et au maintien de la sécurité. Son successeur, le général Özkan Ulutaş, prend la tête de la Force pour la deuxième fois.
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