Colombie: le Conseil de sécurité informé de la mise en œuvre de l’Accord final sur fond de tensions politiques à l’approche des élections de 2026
Ce matin, lors de la réunion trimestrielle sur la situation en Colombie, le Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques, et Représentant spécial désigné du Secrétaire général pour la Colombie, a confié ses « impressions de première main », après sa visite sur place en septembre. Dans une période délicate pour la Colombie, en raison notamment des élections nationales à venir, qui accentuent les tensions politiques et la polarisation, M. Miroslav Jenča a tenu à réaffirmer l’engagement fort des Nations Unies envers le processus de paix.
Appuyant son exposé sur le dernier rapport du Secrétaire général consacré à la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie, qu’il dirigera également une fois entré dans ses nouvelles fonctions ce mois-ci, M. Jenča a souligné le rôle essentiel que joue cette mission politique pour accompagner la mise en œuvre de l’Accord final, signé en 2016.
Alors que le mandat de la Mission expire le 31 octobre prochain, son renouvellement a été soutenu par l’ensemble des membres du Conseil à l’exception des États-Unis. Ces derniers ont dit « examiner de très près ce mandat pour voir si la Mission mérite l’appui du Conseil de sécurité sur la base d’une évaluation des contributions qu’elle apporte à la paix et à la sécurité en Colombie ». Pour la France, en revanche, « il en va de l’avenir du processus de paix en Colombie et de sa capacité à continuer à être un modèle pour le règlement des conflits et des crises à travers le monde ».
La Mission de vérification est « cruciale », a soutenu à son tour la Colombie, qualifiant son action de « pilier de la consolidation de la paix ». En outre, a souligné la représentante colombienne, ce « partenaire stratégique de l’État » est aussi « un acteur impartial auprès des communautés ». Cette dernière affirmation s’explique en partie par la présence de la Mission dans les zones présentées comme « prioritaires » par l’Accord final, « l’un de ses principaux atouts », selon le Représentant spécial désigné.
Consolider la paix en Colombie s’avère « complexe », selon M. Jenča
Si nul n’a remis en question les étapes importantes franchies ces derniers mois dans le processus de paix en Colombie, depuis les premières peines réparatrices prononcées en septembre par la Juridiction spéciale pour la paix aux progrès réalisés dans le domaine de la réforme rurale, en passant par les avancées dans la réintégration des anciens combattants des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP), M. Jenča et les membres du Conseil ont fait part de leur préoccupation.
En effet, la violence persistante et croissante de nombreux groupes armés, le retard dans l’attribution des terres, l’absence de mesures de sécurité pour les populations vulnérables et les ex-combattants, ainsi que le manque de coordination institutionnelle et de présence de l’État dans les zones prioritaires, ont ralenti le processus. Comme l’a résumé la République de Corée, à moins d’un an de la fin du mandat de l’Administration du Président Gustavo Petro, le maintien de la dynamique dépendra de la concrétisation des engagements pris pour combler ces lacunes.
Pour les États-Unis, le Gouvernement colombien actuel met à mal les progrès en vue d’une paix pérenne. Pire encore, les politiques du Président Petro en matière de paix et de sécurité en Colombie comme dans le monde sont « franchement irresponsables », a assené le délégué américain, avant de dénoncer les « paroles scandaleuses » prononcées par le Chef de l’État colombien, la semaine dernière à New York, en marge de la semaine de haut niveau des Nations Unies. Il lui a notamment reproché d’avoir « exhorté les soldats américains à désobéir à des ordres légaux et incité à la violence sur le territoire américain ».
Une étape « historique » pour la justice transitionnelle
L’importance de la justice transitionnelle dans le processus de paix a aussi été soulignée par les membres du Conseil. Le Royaume-Uni, porte-plume sur le dossier colombien, et le Panama, voisin de la Colombie, ont ainsi insisté sur le caractère « historique » des peines prononcées le mois dernier par la Juridiction spéciale pour la paix dans les affaires relatives aux enlèvements commis par les FARC-EP et aux meurtres et disparitions forcées attribués à des membres des forces de sécurité.
Pour que la justice transitionnelle soit couronnée de succès, il est impératif que les autorités colombiennes créent rapidement les conditions nécessaires à l’exécution de ces peines, permettant ainsi la concrétisation des sanctions réparatrices, ont fait valoir plusieurs délégations. Parmi celles-ci, la Fédération de Russie a rappelé que la Mission de vérification est mandatée par le Conseil pour veiller à la mise en œuvre des peines décidées par la Juridiction spéciale, lesquelles, a noté le Panama, « ne pourront pas changer le passé mais permettront d’alléger les souffrances ».
Répondant indirectement à ces inquiétudes, la déléguée de la Colombie a assuré que l’application des peines prononcées se fera sous la supervision de la Mission de vérification, « avec des lignes directrices normatives et opérationnelles définies et une coordination interinstitutionnelle et territoriale consolidée ».
Le Panama a, quant à lui, estimé que, par son caractère réparateur et centré sur les victimes, « l’expérience colombienne » offre « un modèle à suivre pour les futurs processus de paix dans le monde ». Il a invité le Conseil à soutenir « ceux qui choisissent la voie de la paix ».
Craintes liées à la violence persistante de groupes armés
Reste qu’à l’instar des A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana), la plupart des délégations ont exprimé leurs craintes face à l’évolution de la situation en matière de sécurité. Elles ont unanimement condamné la poursuite des violences à l’encontre des défenseurs des droits humains, des leaders sociaux, des groupes et communautés vulnérables et des anciens combattants. Comme l’a rappelé le Royaume-Uni, pas moins de 480 ex-membres des FARC-EP ont été tués depuis la signature de l’accord de paix en 2016. Leur réintégration –déjà effective pour 11 000 d’entre eux- est pourtant déterminante pour le succès et la pérennité du processus de démobilisation, a relevé le Représentant spécial désigné.
Faisant le même constat, la Fédération de Russie et la République de Corée ont insisté sur la nécessité de revitaliser la Commission nationale sur les garanties de sécurité -qui ne s’est pas réunie depuis plus d’un an- afin de revoir et de renforcer la politique publique visant à démanteler les groupes armés illégaux et les organisations criminelles. Le Gouvernement colombien a également été appelé à étendre d’urgence sa présence dans les zones touchées par le conflit.
Vivement préoccupés par la notion de « paix totale » défendue par Bogota, les États-Unis et le Panama ont, eux, mis en garde contre des négociations susceptibles de favoriser l’impunité de ces groupes armés. « Le peuple colombien, les peuples de la région et les Américains méritent justice et sécurité », a martelé le délégué américain. Également partisan d’une politique de sécurité solide, son homologue panaméen a estimé que « le dialogue ne doit être approfondi qu’avec les acteurs qui font preuve d’un véritable engagement en faveur de la paix ».
Quant à l’assassinat du sénateur Miguel Uribe Turbay, candidat à la présidence colombienne abattu lors d’un rassemblement de campagne à Bogota le 7 juin dernier, il a été décrit par le Royaume-Uni comme « un avertissement des risques auxquels la Colombie fait face », à l’approche des élections prévues en mai 2026. Les États-Unis ont, pour leur part, exhorté tous les acteurs colombiens à répéter que « la violence politique n’a pas sa place dans une société civilisée ».
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