L’Assemblée générale examine le rapport de la Cour pénale internationale, qui poursuit son travail contre l’impunité dans un contexte d’intenses pressions
L’Assemblée générale a débattu, aujourd’hui, des activités de la Cour pénale internationale (CPI) pour la période 2024/2025. Ouvrant la séance, la Présidente de l’Assemblée générale, Mme Annalena Baerbock, a rappelé que la CPI avait été fondée pour que les responsables des crimes les plus graves rendent des comptes « car ils mettent en péril la paix et la sécurité du monde et érodent les fondements de l’ordre international ».
En fin de séance, l’Assemblée générale a adopté par 94 voix pour, 10 voix contre (Argentine, Bélarus, Burkina Faso, États-Unis, Fédération de Russie, Israël, Nicaragua, Niger, République populaire démocratique de Corée et Soudan) et 34 abstentions la résolution présentée par les Pays-Bas, par laquelle elle prend note du rapport de la CPI pour 2024/2025. L’Assemblée souligne notamment que la Cour, ses responsables et son personnel doivent pouvoir s’acquitter de leur mandat et de leurs obligations professionnelles « sans subir d’intimidation ».
Ce matin, la Présidente de la Cour, la juge japonaise Mme Tomoko Akane, a présenté aux États Membres ce rapport. Elle adit deux choses: d’une part, que l’activité intense de la Cour traduit une exigence de justice qui va croissant, et, d’autre part, que les attaques persistantes dont elle est la cible exigent un engagement accru des États Membres en sa faveur, qu’ils soient ou non parties au Statut de Rome de la CPI.
Sur les activités proprement dites de la CPI en matière de procédure et de poursuites, Mme Akane a expliqué qu’au cours de la période considérée les différentes chambres de la Cour avaient rendu 382 décisions écrites, celles-ci concernant le Darfour, la Libye, l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda, l’Afghanistan, l’État de Palestine, les Philippines, l’Ukraine, le Venezuela, le Mali et la République centrafricaine. À ces décisions se sont ajoutées les décisions rendues oralement et par courrier électronique et la tenue de 63 audiences. La Présidente de la CPI s’est félicitée du fait que, comme son rapport l’indique à propos du Darfour, de la Libye, du Mali ou encore de la République centrafricaine, la justice a pu être rendue à travers des jugements et des condamnations prononcés à l’issue de procès.
La juge Akane a également mis l’accent sur le traitement bienveillant des victimes d’atrocités de masse, qui, a-t-elle souligné, demeurent au cœur des procédures de la CPI. « La Cour leur donne la parole, un espace pour raconter leur histoire et faire en sorte que la vérité soit reconnue et les responsabilités établies. » Offrir espoir et vérité à l’humanité souffrante est l’une des raisons d’être de la Cour, a-t-elle ajouté, en précisant que les réparations font partie intégrante des procédures de la CPI.
Aussi a-t-elle attiré l’attention sur la nécessité que le Fonds au profit des victimes, véritable pilier de la légitimité de la Cour, continue d’être en mesure de rendre concrètement leur dignité à des milliers d’êtres humains, d’aider à panser les plaies des communautés et de renforcer l’état de droit après la commission d’atrocités de masse. « Les réparations soutenues par le Fonds ont un impact transformateur en ce qu’elles renforcent le sentiment de justice des victimes. »
L’Islande, au nom des pays nordiques, a aussi vu dans la CPI une véritable « cour des victimes » puisque pendant la seule année 2024, environ 19 500 personnes, dont 69% de femmes, ont bénéficié directement des programmes d’assistance administrés par ledit Fonds, a précisé la représentante, un instrument que les pays nordiques ont toujours soutenu. Sur cette même question de la justice réparatrice, la plupart des intervenants ont salué le fait qu’en 2024/2025, plus de 18 000 victimes ont pris directement part aux procédures menées devant la CPI.
Toutefois, le fonctionnement de la CPI est toujours mis à rude épreuve, a dit en substance la Présidente, qui a évoqué les attaques, les menaces et les sanctions visant la CPI et ses fonctionnaires, autant d’agissements, a-t-elle déploré, qui n’épargnent pas ses partenaires de la société civile et prennent de plus en plus souvent la forme de cyberattaques.
Condamnant ces entraves à l’administration de la justice par la Cour -et, ce faisant, à la lutte contre les crimes contre l’humanité et contre l’impunité de leurs auteurs-, le Mexique, au nom de 59 États parties au Statut de Rome, a réaffirmé leur soutien indéfectible à l’indépendance, l’impartialité et l’intégrité de la CPI. La Cour, ont rappelé ces pays dont la France, est la « pierre angulaire » du système de justice pénale internationale et un mécanisme essentiel pour garantir la responsabilité des auteurs des crimes les plus graves.
Dans une déclaration séparée, la France, qui a indiqué avoir pris connaissance des sanctions américaines à l’encontre de neuf des magistrats de la CPI, y compris un juge français, a estimé que ces mesures constituent une atteinte à l’intégrité de la Cour, une entorse au principe d’indépendance de la justice et un manquement envers chacun des États parties au Statut de Rome. « La France appelle donc les États-Unis à les retirer », a demandé le représentant.
Le décret présidentiel du 6 février du Président Trump, a rappelé le représentant des États-Unis, a été promulgué « en réponse aux actions illégitimes de la CPI à l’encontre du personnel des États-Unis et de certains de leurs alliés n’ayant pas consenti à sa juridiction, notamment Israël ». Les actions menées par la CPI contre les États-Unis et Israël créent un dangereux précédent, a-t-il martelé.
Les États-Unis reprochent au Procureur et aux juges de la CPI d’exercer « un pouvoir considérable qui s’est avéré sans contrôle », les garanties prévues par le Statut de Rome ayant échoué ou ayant été ignorées. Face à la confirmation de nos préoccupations de longue date et à la menace croissante que représente la CPI, notre riposte s’est intensifiée en conséquence, a justifié le représentant.
Avant la France, la Présidente de l’Assemblée générale avait affirmé que « les mesures coercitives et les sanctions institutionnelles sont des attaques contre le principe même du droit international », les États parties ne pouvant fermer les yeux sur ces attaques, faute de quoi la loi du plus fort prévaudra.
Les criminels de guerre devraient être sanctionnés, mais ce sont les juges et le personnel de l’ONU qui sont aujourd’hui visés par des sanctions, alors que ce sont eux qui devraient être protégés, s’est indignée la représentante de l’État de Palestine. « On donne l’impression que les civils palestiniens ne sont pas aussi innocents que d’autres civils » et qu’ils mériteraient d’être violentés, a-t-elle ajouté. « Le message qui est envoyé, c’est que l’impunité doit être préservée et la justice retardée. »
Pour sa part, Israël a dénoncé le fait que les dirigeants d’États démocratiques qui défendent leurs citoyens face à des attaques terroristes soient « mis dos à dos avec des terroristes qui glorifient la terreur sans se cacher et massacrent des civils ». Son représentant a jugé que de telles actions devraient inciter la communauté internationale à remettre en question la légitimité de la Cour.
Parmi la cinquantaine de pays ayant pris la parole à la tribune de l’Assemblée, nombreux sont ceux à avoir salué l’accession de l’Ukraine en tant que cent vingt-cinquième État partie au Statut de Rome. En ratifiant le Statut de Rome, l’Ukraine a franchi « une étape cruciale vers la traduction en justice des auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », a considéré l’Estonie, au nom des trois États baltes. L’Autriche, la République tchèque et la Slovaquie, réunis au sein du format Slavkov, ont également salué cette accession. Ces pays, comme ceux de l’Europe occidentale, ont toutefois regretté le retrait de la Hongrie du Statut.
Et aux « nations sœurs », que sont le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui envisagent elles aussi de se retirer du Statut, la Sierra Leone, au nom des États africains Parties au Statut de Rome, a demandé de reconsidérer leur décision. La coopération des États Membres de l’ONU et des entités apparentées, ainsi que des autres organisations intergouvernementales et de la société civile, est essentielle pour que la Cour puisse remplir son mandat, a insisté le représentant, saluant le rôle important joué par le Bureau de liaison de la CPI auprès de l’ONU.
L’Espagne et le Luxembourg, de leur côté, ont vu dans la ratification par quatre nouveaux États des amendements sur le crime d’agression une avancée majeure en vue de l’harmonisation de la compétence de la Cour pour ce crime avec celle qu’elle exerce pour les autres crimes définis dans le Statut de Rome.
Les crimes commis pendant la guerre russe d’agression font l’objet d’enquêtes par la CPI et des partenaires de l’Ukraine, a renforcé la représentante ukrainienne, en rappelant que la CPI a émis des mandats d’arrêt contre des ressortissants russes.
À ce sujet, la Présidente Akane a tenu à rappeler que les mandats d’arrêt publics délivrés par la Cour contre 33 personnes nommées dans le rapport n’ont toujours pas été exécutés. La Cour invite les États parties et les autres acteurs à lui fournir la coopération et l’assistance nécessaires à l’arrestation de ces personnes et à leur remise à la Cour.
Le représentant du Myanmar a rappelé que « le Gouvernement d’unité nationale du Myanmar », anticipant les atrocités perpétrées par la junte dans son pays, avait déposé en 2021 une déclaration auprès du Greffier de la Cour reconnaissant la compétence de la Cour sur les crimes commis sur son territoire depuis 2002. Après plus de trois ans, a-t-il dit, « l’espoir du peuple birman » a été ravivé par la demande du Procureur de la CPI, déposée en novembre dernier, d’un mandat d’arrêt contre le chef de la junte militaire, Min Aung Hlaing. Pourtant, près d’un an plus tard, la Cour n’a enregistré aucun progrès notable concernant cette demande, a-t-il regretté.
Ayant demandé la mise aux voix du projet de résolution, la Fédération de Russie a rejeté ce texte qu’elle a jugé « déconnecté de la réalité » et qui encourage, selon elle, « les abus de la Cour ». De même, l’Argentine a expliqué avoir voté contre la résolution, estimant qu’il s’agit d’un exemple très grave de la tendance à politiser le travail de la CPI. Selon la délégation, « pénaliser la défense légitime d’Israël face à des agissements terroristes déforme l’esprit de la justice internationale ».
Enfin, pour ce qui est du financement de la Cour, la France et le Japon -ce dernier pays étant le premier contributeur à la CPI- ont souligné l’importance qu’elle soit dotée des moyens qui lui permettent de s’acquitter de son mandat, sa charge de travail augmentant à toutes les étapes de la procédure. Lors de l’Assemblée des États Parties dans quelques semaines, la France a indiqué qu’elle sera attentive à ce qu’un budget adéquat soit adopté pour l’année 2026. « Il appartient à tous les États parties de s’acquitter de leurs contributions obligatoires dans les meilleurs délais, intégralement et sans conditions. »
La suite du débat sur le rapport annuel de la Cour internationale de Justice (CIJ) sera annoncée à une date ultérieure.
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