Assemblée générale: en raison de la crise financière de l’ONU, la situation du Conseil des droits de l’homme « n’est pas tenable », alerte son Président
L’Assemblée générale a examiné, aujourd’hui, le volumineux rapport 2025 du Conseil des droits de l’homme (CDH), présenté par son Président, M. Jürg Lauber. En présence d’une cinquantaine de délégations, celui-ci a rendu compte des travaux du Conseil lors de ses différentes sessions, ordinaires et extraordinaires, tout en avertissant que la situation actuelle de l’organe « n’est pas tenable », compte tenu des répercussions persistantes de la crise financière de l’ONU.
« Sans la mise à disposition rapide et suffisante des ressources nécessaires, l’accomplissement du mandat du Conseil sera gravement compromis, créant ainsi des lacunes en matière de protection pour les victimes de violations des droits humains », a averti M. Lauber. Cette situation affecte tous les mandats, thématiques et par pays, dont nombre sont désormais exécutés de façon réduite, tandis que plusieurs organes subsidiaires du Conseil ont dû reporter leurs sessions annuelles, a-t-il alerté, proposant une double approche pour y faire face.
« D’une part, nous devons redoubler d’efforts en matière de rationalisation et d’efficacité des travaux du Conseil; d’autre part, nous devons continuer d’investir dans les droits humains et réaffirmer notre engagement en faveur de leur protection », a-t-il plaidé en écho aux propos de la Présidente de l’Assemblée générale, qui a insisté sur la nécessité de fournir au Conseil un soutien politique et financier accru.
« En consolidant le Conseil des droits de l’homme, nous renforçons non seulement les droits individuels, mais aussi chaque État Membre et l’ensemble du système international », a déclaré Mme Annalena Baerbock en appelant à tirer pleinement parti de l’Initiative ONU80 du Secrétaire général. Il s’agit selon elle de renforcer la coordination des droits de l’homme en les intégrant dans l’ensemble des mandats plutôt que de les maintenir cloisonnés ou fragmentés.
Un risque d’affaiblissement jugé alarmant par de nombreux États Membres
Face aux coupes budgétaires auxquelles est confronté le Conseil, l’Union européenne (UE), particulièrement impliquée dans le dossier des droits humains, a jugé impératif que l’organe conserve les moyens d’exercer ses fonctions et que ses mandats soient dotés de personnel et de ressources adéquats. Tout en réaffirmant son appui à l’Initiative ONU80, elle a souhaité que le processus de réforme garantisse « le renforcement et non l’affaiblissement » du pilier des droits de l’homme au sein des Nations Unies, compte tenu notamment de son rôle crucial et de sa part modeste du budget de l’ONU. Le représentant de l’UE a rappelé au demeurant que, dans le Pacte pour l’avenir, les États Membres ont explicitement demandé une augmentation du budget alloué aux droits humains, « pilier ne représentant que 1% des dépenses de l’ONU et déjà gravement sous-financé ».
À son tour, la Croatie a exhorté les États Membres à assumer leurs responsabilités et à faire preuve de « discipline politique » pour préserver ce pilier. Pour cela, sa représentante a proposé une rationalisation des résolutions du CDH, notamment via une adoption biennale ou triennale, ainsi que la fusion ou la suppression de mandats devenus obsolètes. Elle a aussi appelé à renforcer la coordination entre Genève et New York, estimant que les synergies entre les deux pôles restent insuffisamment exploitées. Toutefois, a-t-elle mis en garde, « l’efficacité ne doit pas compromettre la capacité du système à réagir rapidement aux crises ».
En sa qualité d’État hôte, la Suisse a dit poursuivre son engagement pour un Conseil « fort et efficace », exprimant à cet égard sa volonté de renforcer Genève comme plateforme internationale pour la promotion des droits de l’homme. Favorable elle aussi à des synergies avec New York afin d’intégrer les droits humains de manière transversale dans l’ensemble du système onusien, la déléguée a appuyé les efforts de rationalisation des travaux du CDH, tout en jugeant impératif de préserver l’espace d’expression de la société civile.
De manière connexe, la délégation du Bénin a invité l’Assemblée générale à se pencher sur la décision de 2024 relative à la participation à distance aux travaux du Conseil. Dans le contexte de crise de liquidités, la suspension encore en vigueur de ces modalités dessert l’objectif d’universalisation en limitant l’accès équitable aux travaux, notamment pour les États qui ne disposent pas d’une mission permanente à Genève, a-t-elle signalé.
Suivi des situations, assistance technique et renforcement des capacités
Malgré ce contexte difficile, le Conseil a poursuivi ses travaux sans relâche. M. Lauber a fait état de l’adoption de 137 documents, principalement des résolutions et des décisions, et de la création d’une mission d’établissement des faits et d’une commission d’enquête indépendante sur les violations des droits humains et du droit international humanitaire commises dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC).
Il a également mentionné le débat urgent, tenu lors de sa soixantième session, sur l’agression militaire menée par l’État d’Israël contre l’État du Qatar, tout en indiquant que le Conseil a continué de privilégier l’assistance technique et le renforcement des capacités au Cambodge, en République centrafricaine, en Colombie, en RDC, en Géorgie, en Haïti, en Libye, au Mali, en Somalie, au Soudan du Sud, en Ukraine et au Yémen.
Parmi les résolutions adoptées, le Président du Conseil a distingué celle relative à la situation des droits humains dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et à l’obligation de garantir l’obligation de rendre des comptes et la justice, qui invite l’Assemblée générale à envisager la mise en place d’un mécanisme international permanent, impartial et indépendant chargé d’aider aux enquêtes et aux poursuites contre les personnes responsables des crimes les plus graves de droit international commis par toutes les parties depuis 2014. Ce texte a été salué par un grand nombre de délégations, de même que ceux traitant des droits humains en Iran, en Syrie, au Myanmar, en Ukraine, en Afghanistan ou au Soudan.
L’Examen périodique universel plébiscité par les pays frappés de sanctions
S’agissant du mécanisme d’Examen périodique universel (EPU) du Conseil, entré dans son quatrième cycle en novembre 2022, M. Lauber a précisé qu’il a jusqu’alors permis l’examen par les pairs de 125 États Membres, soit 65% du total, et qu’il doit s’achever en juillet 2027. Rappelant que l’EPU est fondé sur l’égalité de traitement de tous les États, il s’est félicité du nombre croissant de recommandations adressées à chaque État Membre et du taux d’acceptation moyen de 75%. En revanche, il a regretté que trois États Membres se soient retirés du Conseil en début d’année.
« À ce moment critique, il est essentiel de déployer tous les efforts possibles pour continuer à soutenir ce processus multilatéral unique, mandaté par l’Assemblée générale », a-t-il affirmé. Un avis largement partagé par les délégations inscrites à ce débat, tout particulièrement les pays frappés de sanctions.
Dénonçant les mesures coercitives unilatérales imposées par les États-Unis et certains autres pays occidentaux au nom de leurs intérêts géopolitiques, la représentante de la République islamique d’Iran a également fustigé les mandats « politiquement motivés » du Conseil concernant son pays. « Compte tenu des contraintes financières à l’ONU, il convient de réexaminer tout cela », a-t-elle lancé, estimant que la question des droits humains doit être traitée par un dialogue constructif et sans confrontation, notamment via l’EPU du Conseil.
Même son de cloche de la part du délégué de Cuba, qui a dénoncé l’instrumentalisation des droits humains à des fins hégémoniques, de déstabilisation ou de tentative de changement de régime. Selon lui, le recours de certains pays aux pratiques punitives et à manipulation politique au sein du Conseil sont préoccupantes. À ses yeux, l’EPU offre une tribune idéale pour une analyse exhaustive et équitable de la situation des droits humains dans tous les pays.
Le Conseil accusé d’impartialité par plusieurs délégations
Outre l’Iran, qui a dit ne reconnaître ni la « prétendue » Mission internationale indépendante d’établissement des faits ni la résolution sur la situation des droits humains sur son territoire, plusieurs délégations ont accusé le Conseil de s’éloigner de ses principes d’intégrité et d’impartialité.
La représentante d’Israël a ainsi dénoncé la discrimination persistante à l’encontre de son pays et plaidé pour une réforme en profondeur de l’organe, compte tenu de son traitement politisé et du discours anti-israélien qui, selon elle, « domine ses travaux au détriment des véritables enjeux en matière de droits humains ».
Dans le même ordre d’idées, le représentant de la Fédération de Russie a déploré que, sous l’impulsion des puissances occidentales, le Conseil se soit « fortement politisé » et ait adopté une « attitude conflictuelle ». Il en a voulu pour preuve le fait que le nombre de résolutions adoptées à l’encontre de pays spécifiques, ainsi que le nombre correspondant de rapporteurs spéciaux et de commissions d’enquête, « croissent de façon exponentielle », ce qui compromet les possibilités d’instaurer un dialogue entre États.
Constatant que le Conseil « n’a pas été en mesure d’apporter une contribution significative à l’amélioration de la situation des droits humains, tant au niveau mondial que national », le délégué russe s’est élevé contre les projets de résolution sur la situation des droits de l’homme en Fédération de Russie, adoptés depuis plusieurs années par le Conseil à l’initiative des États membres de l’Union européenne, des documents « antirusses » qui, selon lui, ne reflètent pas la réalité et ne justifient aucunement la création du poste de Rapporteur spécial sur la Russie. « Nous considérons ces initiatives comme une tentative de punir notre pays pour avoir suivi une voie souveraine », a-t-il asséné, assurant que son pays continuera d’ignorer le mécanisme spécial établi par le Conseil à cet égard.
Saluant pour sa part le rôle essentiel du Conseil et de ses procédures spéciales dans la documentation et la surveillance des violations des droits humains, la représentante de l’Ukraine a accusé Moscou de tenter de « détourner le Conseil » pour diffuser de fausses informations et justifier ses crimes de guerre et crimes contre l’humanité. « Ces manœuvres ne doivent pas être tolérées », a-t-elle martelé, tandis que le Venezuela, s’exprimant au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, condamnait l’établissement de missions d’enquête ou de mandats « politiquement motivés ».
De son côté, le Président du Conseil a souligné l’importance, pour tous les pays, de coopérer avec les procédures spéciales et de leur en garantir un plein accès, non sans réitérer sa profonde préoccupation face aux actes d’intimidation, aux attaques personnelles et aux sanctions dont sont victimes les titulaires de mandat des procédures spéciales. « De telles pratiques sont incompatibles avec l’esprit de coopération et de dialogue qui doit guider nos travaux », a-t-il affirmé.
Respecter tous les droits humains, y compris le droit au développement
Au nom des pays nordiques, le représentant de l’Islande a constaté une érosion de l’attachement mondial aux droits humains et à la démocratie. Face à cette tendance préoccupante, il a rappelé que les droits humains, qui constituent l’un des trois piliers de l’ONU, ne sont pas seulement un « devoir moral » mais aussi « un engagement commun et une nécessité stratégique pour la paix et le développement durable ». Plus spécifiquement, il a applaudi les efforts consentis par le CDH pour défendre l’égalité entre les genres et les droits des personnes LGBTQI+.
À l’instar d’une majorité de pays du Sud, le Pakistan a estimé que le respect des droits humains et de la paix ne saurait être atteint sans aborder toutes les situations d’occupation, notamment en Palestine et au Jammu-et-Cachemire. Il a cependant salué les efforts multilatéraux déployés par le Conseil pour faire face à des conflits de longue date et à des questions émergentes, soulignant les situations graves que constituent le déni persistant du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et le fardeau supporté par les musulmans rohingya.
Il a également appelé à un équilibre entre toutes les catégories de droits humains, déplorant que les droits civils et politiques reçoivent souvent une attention et des ressources disproportionnées au détriment des droits économiques, sociaux et culturels, et en particulier du droit au développement.
Sur la même ligne, l’Égypte a réitéré son attachement au droit au développement, « un droit inaliénable », et son engagement à veiller à ce que l’Assemblée générale examine le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels afin qu’il devienne un instrument essentiel pour la promotion des droits des jeunes, des femmes et des personnes âgées, ainsi que pour la lutte contre la xénophobie et la discrimination.
Condamnant toutes les violations des droits humains, et singulièrement « l’oppression systémique » du peuple palestinien, le représentant du Bangladesh a, lui, alerté sur la persécution continue des Rohingya au Myanmar, rappelant que son pays accueille déjà plus de 1,2 million de réfugiés. Il a plaidé pour des solutions durables fondées sur la responsabilité et le retour sûr et volontaire, rejoint sur ce point par son homologue du Myanmar, qui s’est félicité de l’adoption, cette année, de deux résolutions consacrées respectivement à la situation des Rohingya et à celle des minorités dans son pays. Saluant « l’impartialité du Conseil », qu’il a jugée « vitale en ces temps difficiles », il a rappelé que le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar et le Rapporteur spécial s’emploient à recueillir les preuves des atrocités commises par la junte militaire.
Enfin, la délégation de la République arabe syrienne a mis en avant la transition historique en cours dans son pays, exprimant sa gratitude à tous ceux qui se sont tenus aux côtés du peuple syrien pour « briser les chaînes de la tyrannie ». Le représentant syrien a salué en particulier les efforts du CDH, « qui s’est tenu du côté de l’humanité » en créant la Commission d’enquête internationale indépendante chargée d’enquêter sur toutes les violations depuis mars 2011. Il s’est félicité de la récente reconduction, pour la première fois par consensus, du mandat de cette commission.
En début de séance, l'Assemblée générale a adopté une résolution (A/80/L.5) sur la Déclaration politique de Doha issue du « Deuxième Sommet mondial pour le développement social ». De nombreux chefs d’État et de gouvernement se réunissent à Doha, au Qatar, du 4 au 6 novembre 2025, à l’occasion du deuxième Sommet mondial pour le développement social.
En fin de séance, l’Assemblée a poursuivi l’examen du rapport annuel de la Cour internationale de justice (CIJ) entamé hier.
Suivez toutes les délibérations: En direct de l'ONU | Couverture des réunions & communiqués de presse