Assemblée générale: opposés au texte appelant à la levée de leur embargo contre Cuba, les États-Unis démentent exercer un quelconque « blocus »
Les explications de vote sur le projet de résolution soumis depuis 1992 à l’Assemblée générale pour souligner la « nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba par les États-Unis d’Amérique » ont donné lieu, ce matin, à des échanges sans concession. Avec d’un côté l’immense majorité des États Membres, représentés notamment par plusieurs groupes régionaux, et de l’autre les États-Unis, qui ont démenti exercer un quelconque « blocus » contre Cuba.
Avant le vote, qui aura lieu mercredi, le représentant des États-Unis a voulu peser sur la décision des États Membres en dénonçant le « théâtre politique » que représente cette discussion, par laquelle « le régime cubain tente de se convaincre lui-même, ses soutiens internationaux et le peuple cubain que le monde le tient pour innocent de ses atteintes aux libertés fondamentales de ses citoyens et des conséquences économiques désastreuses et méprisables de sa politique ».
Le représentant a indiqué que l’Administration Trump entend « rétablir la vérité concernant cette résolution et corriger les fausses nouvelles, la désinformation et cette fausse réalité que le régime cherche à créer année après année ». Ce régime « illégitime et brutal » cherche à se présenter comme la victime d’une agression tout en se présentant ouvertement comme l’ennemi des États-Unis, a cinglé le délégué, non sans rappeler que Cuba n’est distante que de 145 kilomètres des côtes américaines.
Il est faux de parler de blocus, soutiennent les États-Unis
Après avoir accusé les dirigeants cubains de soutenir des organisations terroristes partout dans le monde, mais aussi le « régime vénézuélien » et les cartels qui se livrent au trafic d’êtres humains, de drogue et d’armes, le représentant américain a été interrompu par une motion d’ordre de Cuba lui reprochant de s’écarter du thème de la réunion et de s’exprimer grossièrement. « Nous sommes ici à l’Assemblée générale des Nations Unies, pas dans un groupe Signal ou à la Chambre des représentants », a lancé le délégué cubain.
Reprenant la parole, le représentant américain a appelé les États Membres à « cesser de chercher à apaiser le régime par leurs votes » et à arrêter d’imputer tous les problèmes économiques de Cuba à son pays. Les États-Unis ont toujours permis à Cuba d’importer de la nourriture, des médicaments et des biens humanitaires, a-t-il fait valoir. Mieux, en 2024, les États-Unis ont exporté vers Cuba pour « plus de 585 millions de dollars » de ce type de marchandises. « En quoi est-ce un blocus? »
De surcroît, Cuba peut « commercer avec le monde entier », a poursuivi le délégué, fustigeant une propagande qui « permet au régime de revenir en arrière et de trouver une excuse pour ses propres échecs », alors que les besoins de son propre peuple sont ignorés. À cet égard, il a souhaité que le régime soit tenu responsable de son propre bilan en matière de droits humains, qu’il s’agisse de travail forcé, de répression politique ou d’autres actes de torture contre ceux qui se soulèvent contre l’oppression.
L’impact dévastateur de l’embargo dénoncé par les autres délégations
Aux antipodes de la position américaine, une trentaine de délégations ont mis l’accent sur l’impact de ce « blocus injuste » depuis plus de 60 ans, qui constitue « l’une des violations les plus graves et prolongées du droit international », selon les mots de l’Érythrée, au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies.
Véritable « châtiment collectif contre la population cubaine », ces mesures coercitives unilatérales empêchent en outre les autres pays de développer des relations économiques avec Cuba, en vertu du Titre III de la loi dite « Helms-Burton », dont l’Administration Trump a levé la suspension en mai 2019, a ajouté la délégation érythréenne.
Sur la même ligne, le Groupe des États d’Afrique a estimé, par la voix de la Guinée-Bissau, que les « sanctions illégales » constituent les principaux obstacles à la réalisation par Cuba des objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030.
L’embargo américain entrave non seulement la capacité de Cuba à réaliser les ODD mais aussi son potentiel de développement économique, a renchéri la Fédération de Russie, selon laquelle, entre mars 2024 et février 2025, les dommages causés par cette mesure unilatérale ont augmenté de 49% par rapport à la période précédente, s’élevant à plus de 7,5 milliards de dollars, soit 2,49 milliards de dollars de plus qu’en 2023-2024.
Sans l’embargo, le PIB de Cuba aurait progressé de 9,2% en 2024, « l’un des taux de croissance les plus élevés de l’hémisphère occidental », a relevé la délégation russe, qui a dit voir dans ce dispositif la volonté de Washington de « renverser un gouvernement indésirable ».
Dans une veine semblable, la Chine a dénoncé l’attitude des États-Unis et de « quelques autres pays occidentaux », qui, au lieu de promouvoir la solidarité, la justice et l’équité, comme l’ont réclamé une majorité d’États lors du récent débat général de haut niveau de l’Assemblée générale, « continuent d’imposer leur unilatéralisme, leur protectionnisme et leur coercition, tout en refusant de tenir leurs engagements en termes d’aide publique au développement ».
À son tour, elle a enjoint aux États-Unis de respecter les objectifs et principes de la Charte et de lever sans délai leur embargo contre Cuba, rejointe dans ce plaidoyer par la Barbade, au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), la République islamique d’Iran ou encore le Groupe des 77 et de la Chine. Représenté par l’Iraq, celui-ci a tenu à saluer la contribution de Cuba à la coopération médicale internationale et à la coopération Sud-Sud, rejetant « toute tentative d’entrave à cette assistance pour des raisons politiques ».
Face à l’impasse à laquelle la communauté internationale est confrontée, le représentant du Kenya a souhaité que le vote attendu demain soit « le dernier ». Son homologue de Singapour, au nom de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), a, lui, proposé de « repartir de zéro », alors que l’Inde plaidait pour un monde « exempt d’embargos et de sanctions ».
Appels insistants à retirer Cuba de la liste des parrains du terrorisme
Au-delà de la dénonciation de l’embargo, toutes les délégations, à l’exception des États-Unis, se sont élevées contre l’inscription de Cuba sur la liste américaine des États soutenant le terrorisme. Au nom de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), la Türkiye a prévenu que cette inscription entrave les opérations financières et l’intégration de Cuba dans les chaînes d’approvisionnement mondiales et nuit à la coopération Sud-Sud.
Jugeant « absurde » de maintenir Cuba sur cette liste, la Fédération de Russie a pointé « un nouvel instrument illégitime de pression politique et économique sur le Gouvernement cubain ». Selon elle, La Havane jouit d’une réputation irréprochable de « participant actif à la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme ». Dénonçant les assassinats extrajudiciaires de civils commis par les États-Unis sur des bateaux dans les Caraïbes, le Venezuela a tranché: « tout le monde voit qui est le terroriste dans la région ».
Cuba, a ajouté le représentant de la Colombie, a été une actrice fondamentale dans la recherche de la paix dans mon pays. « Elle a joué un rôle central dans la conclusion de l’Accord final de 2016 entre le Gouvernement et les FARC-EP » (Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire), notamment en ce qui concerne le cessez-le-feu, le désarmement, la démobilisation et la réintégration des anciens combattants.
Demain, à partir de 10 heures, l’Assemblée générale entendra les dernières explications de vote avant de se prononcer sur le projet de résolution (A/80/L.6).
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