Le sang de Mérovée. « Préhistoire » de la dynastie et du royaume mérovingiens
Étienne RenaRd
* La présente étude a pu bénéficier des précieuses remarques du professeur Wolfgang Haubrichs (Saarbrücken), qui ont permis d’en améliorer l’argumentation sur le plan linguistique : qu’il en soit ici remercié. Le coeur du travail a été exposé au cours des
xxxiies Journées internationales d’archéologie mérovingienne, qui se sont tenues à Paris et Saint-Germain-en-Laye du 3 au 5 novembre 2011, et à l’occasion d’un séminaire à l’Université de Londres le 9 janvier 2013. J’ai pu tirer profit des questions et remarques émises alors, ainsi que des suggestions émises au moment de la publication par Alain Dierkens et Alban Gautier. Abréviations utilisées : mgh : Monumenta Germaniae Historica, et ses séries aa (Auctores Antiquissimi), ll (Leges), ss (Scriptores), ssRm (Scriptores Rerum Merovingicarum) &
ssRg (Scriptores Rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi) ; Rga :
Reallexikon der germanischen Altertumskunde.
(1) gRegoRius TuRonensis, Libri historiarum X, II, 9, éd. Bruno KRusch & Wilhelm
levison, Hanovre, 1951 (mgh, ssRm, I/ 1), p. 58 : De huius stirpe quidam Merovechum regem fuisse adserunt, cuius fuit filius Childericus.
(2) Voir par exemple John Michael Wallace-hadRill, The Long-Haired Kings and Other Studies in Frankish History, Londres, 1962, p. 159 ; Erich ZöllneR, Geschichte der Franken bis zur Mitte des sechsten Jahrhunderts, Munich, 1970, p. 37 ; Reinhard
WensKus, «Chlodio » , dans rga, t. 4, Berlin-New York, 1981, p. 477 ; Heike gRahnhoeK,
«Chlodio » , dans Lexikon des Mittelalters, t. 2, Munich-Zurich, 1983, col. 1861-1862 ; Eugen eWig, «Chlodowig I » , ibid., col. 1863 ; Ulrich nonn, «Childerich I » ,
ibid., col. 1817 ; Eugen eWig, «Die Namengebung bei den ältesten Frankenkönigen und in Merowingischen Königshaus. Mit genealogischen Tafeln und Notizen » , dans Francia,
t. 18, 1991, p. 21-69, aux p. 24-25, 47-48 ; Christian seTTipani, La préhistoire des Capétiens, 481-987. Première partie : Mérovingiens, Carolingiens et Robertiens, Villeneuve d’Ascq, 1993 (Nouvelle histoire généalogique de l’auguste maison de France, I/ 1), p. 47-19 ; Ian N. Wood, «Merowech » , dans rga, t. 19, Berlin-New York, 2001, p. 575 ; Ulrich nonn,
Die Franken, Berlin, 2010 (Kohlhammer Urban-Taschenbücher, 579), p. 83-84 ; Matthias
BecheR, Chlodwig I. Der Aufstieg der Merowinger und das Ende der antiken Welt,
Munich, 2011, p. 113 et 293.
Université de Namur
Quand Grégoire de Tours, vers 573-575, voulut intégrer à ses « Dix livres d’histoire » les faits et gestes des ancêtres de Clovis, il ne manqua pas de témoignages sur le règne de Childéric, père de Clovis, enseveli à Tournai en 481 ou 482. Sur ses prédécesseurs, en revanche, la matière faisait presque entièrement défaut. Les quelques lignes qu’il consacre au Franc Chlodio se terminent par ces mots : « Certains prétendent que de sa lignée est sorti le roi Mérovée, de qui Childéric fut le fils » (1). C’est assez dire combien était démuni celui qui reste, et de loin, notre principal informateur sur les débuts du royaume mérovingien. Sur la foi de cet écrit, les historiens modernes ont pourtant fait de Mérovée le père de Childéric et de Chlodio tantôt le père de Mérovée, tantôt un proche parent, de la même génération (2). Fallaitil accorder à Grégoire un si grand crédit ? Contemporain des petits-fils de
Revue Belge de Philologie et d’Histoire / Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis, 92, 2014, p. 999– 1039