Marseille

"Je n'ai pas peur de tirer": l'inquiétant profil de Juan, mineur et meurtrier présumé de Socayna

Âgé de 17 ans, celui qu'on surnomme Juan est soupçonné d'être l'auteur des tirs de kalachnikov qui ont tué Socayna, le 10 septembre 2023 dans son appartement à Marseille. Les enquêteurs dressent le portrait d'un adolescent marqué par l'"ultra-violence". Il comparaîtra dans les prochaines semaines pour "meurtre" devant le tribunal pour enfants de Marseille.

Début février, le juge d'instruction en charge du dossier avait rendu son ordonnance de mise en accusation, actant ainsi le procès d'un mineur, âgé de 15 ans au moment des faits, soupçonné d'avoir tué Socayna à Marseille. Il comparaîtra dans les prochaines semaines pour "meurtre" devant le tribunal pour enfants de Marseille.

Dans la soirée du 10 septembre 2023, une fusillade avait éclaté dans le quartier de Saint-Thys à Marseille. Socayna, une étudiante en droit de 24 ans, avait été tuée d’une balle de kalachnikov en pleine tête, alors qu'elle travaillait dans sa chambre.

Dans l'ordonnance de mise en accusation, longue de 83 pages que BFMTV a pu consulter, Juan, né en 2007, est accusé d'avoir "dans des conditions particulièrement brutales, soudaines et dramatiques, causé le décès de Socayna, et ce, lors d'actions répétées, de tirs menés à l'arme de guerre, sur la voie publique."

"Je n'ai rien fait"

La magistrate chargée de cette instruction au tribunal de Marseille indique, par ailleurs, que "si les motifs de déploiement d'une telle violence, inconsidération voire mépris de la vie et l'intégrité physique d'autrui, ne peuvent être avancés que par hypothèse, les éléments matériels, techniques et scientifiques établis conduisent, quant à eux, à inférer avec certitude, que les dits tirs ont causé le décès de la victime."

Depuis son interpellation au domicile de sa petite amie le 12 février 2024, Juan, le suspect n'a de cesse de nier son implication et sa présence sur les lieux du drame, alors que son téléphone portable a borné ce soir-là dans le quartier de Socayna à Saint-Thys.

Le 16 février 2024, lors de son interrogatoire de première comparution, Juan réfute les accusations portées contre lui.

"Je n'ai vraiment pas envie d'aller en prison pour un truc que je n'ai pas fait. Je n'étais sur les lieux, je n'ai ni tiré, ni conduit. Ce n'est vraiment pas moi Monsieur. Je n'ai vraiment rien fait", assure-t-il.

Au fil des investigations, les policiers vont être confrontés à un adolescent qui hérite d'un parcours de vie chaotique. Il est décrit comme "un acteur" du trafic de stupéfiants du quartier Château Saint-Loup à Marseille, une cité voisine "en guerre" avec Saint-Thys.

Au cœur d’un trafic de stupéfiants marseillais

Son oncle Yoan R., 30 ans, est considéré comme le chef de réseau de Château Saint-Loup. Quant à sa mère, Jessica C., elle est désignée comme la "banquière" de ce trafic. Elle est soupçonnée de participer à l'activité du réseau "en collectant l'argent à la demande de son frère Yoan R."

Après l’étude des échanges téléphoniques de Juan, il ressortait que ce dernier "plaçait" ses oncles sur les points de deal ou encore "participait aux décisions concernant l'organisation du réseau (...). Il se servait de messageries cryptées pour faire prospérer son activité criminelle."

Le 7 octobre 2023, moins d’un mois après la mort de Socayna, les enquêteurs interceptent un message de Juan dans un groupe sur une messagerie cryptée, qui concernait "l'organisation du trafic de stupéfiants" à Château Saint Loup.

À la suite d'un "coup de force essuyé par le point de deal du quartier", le jeune adolescent fait savoir aux autres membres du groupe que 'sur Dieu, je ne parle pas pour rien, j'ai pas peur de tirer moi c'est rien au contraire, j'aime ça depuis que je suis tout petit, je rêve de faire la guerre avec des fils de p*te, 20 ans (de prison, NDLR) c'est rien, j'ai juste 16'".

Les policiers vont rapidement constater que Juan avait pour habitude de louer des appartements Airbnb afin "d'y rencontrer d'autres filles que sa compagne" Leila H. Il circulait régulièrement à bord de véhicules de grosses cylindrées, "louées par des tierces personnes (majeures, NDLR) de Château Saint Loup".

Les enquêteurs ont également constaté qu'il se photographiait régulièrement en "exhibant des armes". Des dizaines de clichés ont été retrouvés. Par exemple, le 15 octobre 2023, il se prend en photo dans l'ascenseur "avec deux armes de poing à la ceinture." Plusieurs photographies montraient également Juan utilisant des armes à feu, "paraissant s'amuser à tirer à la fenêtre de sa chambre, vêtu d'un simple caleçon, toutefois muni de gants pour utiliser cette arme."

Les enquêteurs mettent également la main sur des photos prises le 8 octobre 2023, à partir de son téléphone portable et figurant sur son compte Snapchat qui "le faisaient apparaître en possession d'un fusil-mitrailleur de type kalachnikov, soit le modèle d'arme qui a causé la mort de Socayna."

Leila H., une petite amie sous emprise ?

Leila H., 23 ans, a été interpellée à son domicile en compagnie de Juan, le 12 février 2024 à 6h17, soit 6 mois après les faits. Entendue à de nombreuses reprises, elle faisait part aux enquêteurs de son souhait de quitter son petit ami depuis longtemps et évoquait "un sentiment de peur".

Le soir des faits, dans la nuit du 10 au 11 septembre 2023, Leila H. se souvenait que son compagnon n'était pas rentré de la nuit, qu'elle avait essayé de le joindre vers 4 heures du matin avant de se rendormir. Celui-ci lui avait dit "avoir passé la soirée à Chateau Saint-Loup avant de dormir chez un ami".

Dans une conversation interceptée par les enquêteurs, Leila H., explique à l'une de ses amies qu'elle "pense" que "c'est Juan": "Il ne me l'a pas dit de vive voix. Je pense que c'est lui à cause de la kalash qu'il a ramenée chez moi et après, tout le monde le dit dans la cité." Par ailleurs, Leila H., faisait état d'un changement d'attitude de la part de Juan à partir du 10 septembre 2023, précisant "qu'il criait plus que d'habitude, qu'il était énervé."

Plusieurs écoutes ont été pratiquées dans la cellule et aux domiciles de certains de ses proches. Au terme des investigations, les enquêteurs ont établi que le mobile des tirs "était une expédition menée dans un tel contexte de narcobanditisme. L'hypothèse d'une vexation ressentie peu avant les tirs, suscitée par le comportement de personnes présentes près de la pharmacie (du quartier Saint-Thys), n'est pas moins à exclure, au vu de certains propos tenus par Juan dans sa cellule".

Un proche de Juan a même assuré aux enquêteurs que ce dernier s'était vanté de la mort de la jeune femme. "C'est moi qui ai tué la fille" aurait-il déclaré, avant de rétropédaler: "Ça va je rigole."

Le 10 mars 2024, lors d'un appel à sa petite amie Leila L., Juan lui indiquait "c'est trop tard pour me dénoncer, t'as compris ?" Par ailleurs, Juan démentait le plus souvent auprès de ses interlocuteurs son implication dans le meurtre de Socayna.

Plusieurs incidents durant sa détention provisoire

Le 25 mai 2023, le tribunal pour enfants de Marseille lui infligeait un avertissement judiciaire pour des faits de transport, détention, offre ou cession et acquisition non autorisée de stupéfiants.

Le 20 août 2023, Juan était placé en garde à vue pour des faits de violences avec arme. Deux mois plus tard, le 3 octobre, il était à nouveau placé en garde à vue après avoir été contrôlé pour défaut de permis de conduire et mise en danger de la vie d'autrui, alors qu'il conduisait à 230 km/h sur une autoroute en direction de Marseille.

Le 10 janvier 2024, Juan était une nouvelle fois interpellé, cette fois sur le point de deal de Château Saint Loup en possession de stupéfiants.

Depuis son placement en détention provisoire dans la région marseillaise, l'administration pénitentiaire a constaté que Jessica C., la mère de Juan, continuait d'effectuer des virements à son fils.

"La sonorisation de la cellule de Juan amenait à le soupçonner de poursuivre des activités illégales depuis son lieu d'incarcération (...). Il se faisait parvenir, notamment via sa mère, des téléphones, des produits stupéfiants et cigarettes qu'il revendait à ses codétenus, au point de dire à sa mère et son beau-père: 'Le mois prochain, je pète la roro (Rolex, NDLR)'."

Les enquêteurs découvrent que les armes fascinent le jeune homme. Il avait d’ailleurs commencé à s'en procurer dès l'âge de 14 ans et prévoyait de s'en faire apporter une en détention "comme cela n’avait jamais été fait auparavant".

Depuis le début de son incarcération, le 16 février 2023, plusieurs incidents ont été constatés par l'Administration pénitentiaire. Le 7 mars 2024, il a été agressé par des co-détenus. En juin de la même année, un téléphone et des cigarettes ont été saisis dans sa cellule. Il passe alors devant une commission de discipline, qui décide de le placer à l'isolement pendant 5 jours. Le 24 septembre 2024, il assène plusieurs coups de poing au visage d'un co-détenu.

Lors d’une fouille en cellule, les agents pénitentiaires découvrent la présence d'un plan détaillé du point de deal de La Valbarelle à Marseille, avec notamment "le positionnement et la paie des gérants de ce trafic de stupéfiants."

Par ailleurs, alors qu’il était détenu, Juan a été la cible de plusieurs tentatives d'homicides. "Soit par vengeance du milieu, soit de la part de son propre clan qui souhaitait se défaire de ce jeune incontrôlable et dangereux", estime l'accusation.

Un parcours de vie chaotique

Lors de l'instruction, un rapport éducatif pointe chez Juan l'existence de carences éducatives et parentales, avec "une enfance marquée par de grandes instabilités comme la séparation de ses parents". Une forme de banalisation des antécédents judiciaires familiaux de Juan et aussi de sa mère.

Toujours lors de l’instruction, un expert psychiatrique note "une très grande mise à distance de l'émotionnel et du rapport à l'autre [...] Il est rappelé par le passé délictuel des parents de Juan, sa mère ayant commis des vols et son père des vols, du trafic de stupéfiants et des cambriolages."

Il a également été noté "un possible lien avec l'établissement" d’une double personnalité, l’une qui peut transgresser, l’autre qui est confronté à la loi. L'expert psychiatrique conclut à l'absence de pathologie psychiatrique et indique que Juan est "responsable de ses actes."

Juan ne sera pas seul à devoir faire face à la justice dans les prochaines semaines. Amine L., âgé de 21 ans, est lui soupçonné d'être le conducteur du scooter. Il sera renvoyé devant les assises pour complicité d'assassinat. Lui aussi, nie toute participation dans la mort de Socayna.

Contacté par BFMTV, l’avocat de Juan, le mineur soupçonné d’avoir tué Socayna, n’a pour l’heure pas donné suite à nos sollicitations.

Boris Kharlamoff

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