10052e séance – matin
CS/16232

Conseil de sécurité: la Procureure adjointe de la CPI décrit « six mois de progrès sans précédent », en Libye, salués majoritairement par les Quinze

Le Conseil de sécurité s’est réuni ce matin pour examiner le rapport semestriel de la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation en Libye, présenté par la Procureure adjointe, qui a décrit « six mois de progrès sans précédent » dans la mise en œuvre du mandat confié par la résolution 1970 (2011). Mme Nazhat Shameem Khan a souligné qu’« un nouvel élan collectif pour la justice en Libye » s’est installé, malgré les défis et les actes d’intimidation visant les acteurs de justice. Le représentant libyen a salué les progrès réalisés au cours des six derniers mois, affirmant que « la protection des victimes est la priorité du Gouvernement ».

« La CPI reste pleinement déterminée à tenir la promesse faite aux victimes », a déclaré Mme Khan en signalant qu’un tournant majeur a été franchi avec l’arrestation en Allemagne, le 16 juillet, de Khaled Mohamed Ali El Hishri, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis à la prison de Mitiga. La remise imminente du suspect à la Cour constituera la première depuis la saisine de 2011, a dit Mme Khan qui a misé sur ce premier procès pour envoyer « un message clair »: les responsables des souffrances infligées en Libye « se trompent s’ils pensent être hors d’atteinte de la justice ».

La magistrate a également détaillé les efforts qui se poursuivent pour obtenir l’arrestation de Osama Elmasry Njeem et de Saif Suleiman Sneidel, impliqués dans des meurtres, tortures, viols et exécutions massives. Elle a, dans cette perspective, appelé les autorités libyennes, en particulier celles de l’est du pays, à exécuter les mandats d’arrêt.

La déclaration du Gouvernement libyen, déposée au titre de l’article 12(3) du Statut de Rome pour accepter la compétence de la Cour, est une étape décisive qui confirme les engagements du Premier Ministre Dbeibeh, du Président al-Menfi et du Procureur général, s’est félicitée Mme Khan. Elle a annoncé que la CPI prolongera ses enquêtes au-delà de mai 2026 afin de mener jusqu’au bout chacune des pistes d’investigation.

Le rapport souligne également que la Cour a bénéficié de plus de 150 engagements avec des organisations de la société civile libyenne, un nombre inédit d’interactions salué par Mme Khan, qui a rendu hommage à leur « soutien essentiel ». Les efforts menés conjointement avec cinq États parties ont permis des avancées significatives pour contrer les réseaux de trafic de migrants, a-t-elle ajouté: ouverture du procès de Tewelde Goitom (« Walid ») aux Pays-Bas et extradition attendue d’un second trafiquant présumé depuis les Émirats arabes unis.

Même avec cet « alignement accru des causes » entre acteurs nationaux et internationaux, Mme Khan a averti de la fragilité de l’espoir actuel. Il faut que cesse toute entrave au travail de la Cour, a-t-elle martelé en assurant que la CPI « reste pleinement engagée à aider les victimes » en Libye.

Une « nouvelle ère de coopération » avec la Libye

La majorité des membres du Conseil ont salué les progrès exposés dans le rapport et la dynamique nouvelle observée dans les enquêtes. La France, le Royaume-Uni, la Grèce, la Somalie, le Pakistan et la Chine ont souligné l’importance d’une coopération étroite entre la CPI et les autorités libyennes sur ces questions. Plusieurs interventions ont fait écho aux mots de la Procureure adjointe quand elle a parlé d’une « nouvelle ère de coopération » avec la Libye.

Ces délégations ont salué l’acceptation par la Libye de la compétence de la Cour qualifiée de « geste souverain » témoignant de la volonté des autorités de lutter contre l’impunité. Autre motif de satisfaction, l’arrestation d’El Hishri, qualifiée par la France, la Grèce et le Royaume-Uni de « tournant majeur » depuis la saisine de la Cour en 2011. Les 25 missions menées par le Bureau du Procureur, les 1 500 éléments de preuve collectés et les plus de 50 organisations de la société civile rencontrées ont été salués comme des signes tangibles de l’efficacité de la Cour.

Éviter la politisation, viser la stabilisation du pays

La Chine, le Pakistan et l’Algérie ont insisté sur la nécessité de respecter la souveraineté de la Libye et le principe de complémentarité. La CPI doit agir « en toute impartialité », a insisté la Chine en demandant d’éviter toute politisation, ainsi que « le deux poids, deux mesures » que le Pakistan a également dénoncé parce que ces pratiques sapent la confiance dans la justice internationale. L’Algérie a d’ailleurs estimé que la compétence de la Cour ne devrait pas se limiter aux acteurs locaux, mais viser aussi les « parties extérieures impliquées dans la déstabilisation du pays ». Elle a mentionné à cet égard les violations de l’embargo sur les armes, le mercenariat et le financement illicite.

Plusieurs membres, dont la France, la Somalie et le Royaume-Uni, ont confirmé que l’action de la Cour contribue à un objectif plus large: la stabilisation du pays et la relance du processus politique. La France a rappelé que « la quête de justice et le refus de l’impunité sont aussi des aspirations du peuple libyen », soulignant l’importance de la feuille de route présentée par la Représentante spéciale du Secrétaire générale pour le pays, Mme Hanna Tetteh.

Le souci de renforcer les efforts pour exécuter les mandats d’arrêt encore en suspens a été au cœur des interventions, dont celles du Royaume-Uni, de la Grèce, de la Somalie, de la France et du Pakistan. Il faut « transformer les engagements en résultats concrets ». Le Royaume-Uni a rappelé que « la reddition de comptes reste essentielle à la stabilité en Libye».

Les critiques des membres non signataires du Statut de Rome

Pour leur part, la délégation américaine a réaffirmé son opposition de longue date à l’exercice de la juridiction de la CPI sur « les États-Unis ou leurs alliés qui ne sont pas parties au Statut de Rome ». Washington a dénoncé « d’immenses pouvoirs sans contrepoids » accordés aux procureurs et juges de la Cour et a déclaré « ne pas entendre rester les bras croisés ». Les États-Unis ont toutefois exprimé leur profonde inquiétude concernant « les violations qui ont lieu dans les centres de détention officiels ou non » en Libye et ont appelé les autorités à veiller à ce que les dirigeants de l’ère Kadhafi rendent des comptes.

De son côté, la Fédération de Russie a estimé qu’« aucun résultat concret » n’avait été obtenu en 14 ans et que l’action de la Cour avait au contraire un « impact négatif sur la stabilisation du pays ». Elle a accusé la CPI « d’ émettre de nouveaux mandats d’arrêt » pour compenser l’absence de progrès sur les crimes de 2011, et de pratiquer la « sélectivité », notamment pour les crimes contre les migrants. La délégation russe a dénoncé l’absence de réaction face à la non-exécution par l’Italie d’un mandat d’arrêt, en en déduisant que « quand les règles sont violées par un État occidental, la Cour ferme les yeux ». La délégation a demandé le retrait du rôle de la Cour des dossiers libyen et du Darfour, estimant que la Libye n’a pas besoin de « nouveaux intervenants extérieurs ».

Des résultats attendus pour mettre fin à l’impunité

À l’opposé, des délégations telles que la France, la Grèce, le Royaume-Uni, la Somalie, la Chine et le Pakistan ont réaffirmé la validité du mandat de la CPI et rappelé son fondement - la résolution 1970 (2011) adoptée à l’unanimité. Elles ont souligné que les avancées rapportées, dont l’arrestation d’El Hishri, contredisent l’idée d’absence de résultats. La France a rappelé qu’il incombe aux États de respecter leurs obligations et de « n’entraver d’aucune manière » l’action de la Cour. Le Royaume-Uni a souligné que les progrès ont été obtenus « malgré des défis importants », insistant sur la nécessité d’un soutien continu.

La Libye a rappelé que la coopération avec la CPI se poursuit « malgré les difficultés » et assuré qu’elle s’étendra jusqu’en 2027 afin de renforcer l’état de droit et de protéger les droits humains. La délégation libyenne a toutefois regretté l’absence de mention des « cinq fugitifs » liés au dossier de Tarhouna et a demandé à la Cour d’appliquer pleinement le principe de complémentarité. Elle a souligné que les Libyens sont « las de l’impunité » et a appelé à ne pas céder aux pressions sur les travaux de la Cour.

Invitée en fin de séance à commenter les déclarations des membres du Conseil, la Procureure adjointe de la CPI a rappelé que « la clef du problème en Libye est le partenariat », réaffirmant que la Cour demeure « pleinement engagée » à soutenir les victimes et à lutter contre l’impunité en Libye.

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