Conseil de sécurité: réunion d’urgence à la demande du Venezuela en raison des frappes et du déploiement naval des États-Unis dans les Caraïbes
À la demande du Venezuela, soutenue par la Fédération de Russie et la Chine, le Conseil de sécurité s’est réuni en urgence, cet après-midi, pour examiner la situation dans les Caraïbes à la suite des frappes et du déploiement de navires de guerre opérés par les États-Unis. Si ces derniers ont justifié leurs agissements par la nécessité de lutter contre le narcotrafic à leurs portes, des voix se sont élevées pour dénoncer des actions unilatérales agressives, voire les préparatifs d’une intervention armée sur le sol vénézuélien.
Dans son exposé au Conseil, le Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques a confirmé qu’à la mi-août, une présence militaire américaine renforcée a été signalée dans le sud des Caraïbes, au large des côtes vénézuéliennes. Selon M. Miroslav Jenča, ces déploiements ont exacerbé les tensions entre Caracas et Washington, lesquelles se sont encore accrues lorsque, le 2 septembre, le Gouvernement américain a annoncé que son armée avait frappé un navire soupçonné de transporter de la drogue dans les eaux internationales du sud de la mer des Caraïbes. D’autres frappes aériennes contre des navires soupçonnés de transporter de la drogue ont également été menées les 15, 16 et 19 septembre, puis le 3 octobre, a-t-il indiqué.
Au total, ces opérations auraient fait 21 morts, a précisé M. Jenča, tout en reconnaissant que les Nations Unies ne sont pas en mesure de vérifier ces informations. Alors que les forces armées vénézuéliennes sont à présent en état d’alerte maximale, le haut fonctionnaire a appelé à la désescalade et exhorté les parties à éviter toute action susceptible de menacer la paix et la sécurité dans la région. Tous les efforts de lutte contre la criminalité transnationale organisée doivent être menés dans le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies, a-t-il ajouté, rejoint dans ce plaidoyer par une majorité de délégations.
Les États-Unis « à l’offensive » contre la drogue qui les « inonde »
Les États-Unis ont, eux, implicitement défendu leurs actions dans les Caraïbes au motif que les cartelsde la drogue « inondent les rues américaines de leurs produits et tuent des Américains ». Le Président Trump a clairement indiqué qu’il ne permettrait pas que les États-Unis continuent d’être « inondés de cocaïne, de fentanyl et d’autres drogues provenant de divers pays, dont le Venezuela, qui est une voie de transit fréquente », a souligné le représentant américain. Pour cela, « toute la puissance » des États-Unis sera mobilisée pour « combattre et éradiquer ces cartels, où qu’ils opèrent ».
Compte tenu de l’effet cumulatif des actes hostiles menés contre les citoyens américains et leurs intérêts, le Président Trump a conclu que les États-Unis se trouvaient dans un « conflit armé non international » et a ordonné au Département de la guerre d’agir conformément au droit des conflits armés et à l’Article 51 de la Charte des Nations Unies, a expliqué le délégué. Au-delà des frappes déjà effectuées, qui étaient « limitées en ampleur », les forces américaines restent, selon lui, prêtes à mener « les opérations militaires nécessaires » pour éliminer la menace.
Accusant le Président du Venezuela, M. Nicolás Maduro, « fugitif recherché par la justice américaine », de diriger le Cartel de los soles, le délégué américain a remercié les pays de l’hémisphère occidental qui ont répondu à l’appel de Washington et désigné ce groupe « impitoyable » ainsi que l’organisation Tren de Aragua comme terroristes.
« Un assassin rôde dans les Caraïbes », selon le Venezuela
« Qui peut croire que cette escalade militaire à grande échelle dans les Caraïbes vise à lutter contre le trafic de drogue? » a rétorqué le Venezuela, pour qui les États-Unis n’ont d’autre plan que de renverser le Président Maduro, « dans le but d’installer un régime fantoche et de transformer le pays en colonie ».
Les actions et la rhétorique bellicistes des États-Unis montrent qu’une attaque armée contre le Venezuela pourrait être menée à très court terme, a averti le délégué vénézuélien. Constatant que les forces américaines ont froidement assassiné des civils sans fournir d’informations sur leur identité ni de preuves sur le type de cargaison à bord des embarcations ciblées ou sur l’imminence d’une attaque armée, il a observé qu’« un assassin rôde dans les Caraïbes, cherchant des excuses pour créer un conflit, afin d’invoquer de manière trompeuse le principe de légitime défense ».
« Le Venezuela a toutes les raisons de croire que son voisin du Nord est prêt à passer de la menace à l’action », a acquiescé la Fédération de Russie, avant d’appeler l’Administration américaine à « éviter l’erreur irréparable d’une intervention militaire ». Jugeant que les États-Unis se livrent à une escalade dans les Caraïbes « sous de faux prétextes », le représentant russe a fait observer que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) « ne considère pas le Venezuela comme une plaque tournante du trafic de drogue, puisque 87% de la cocaïne qui arrive aux États-Unis par l’océan Pacifique, auquel le Venezuela n’a pas accès ».
La Chine s’est élevée, pour sa part, contre les « opérations unilatérales excessives » des États-Unis, qui empiètent sur la souveraineté d’un pays, violent le droit et sapent la sécurité. Opposée à l’emploi de la force et à toute ingérence dans les affaires intérieures du Venezuela, elle a enjoint à Washington de ne pas user du « prétexte » de la lutte contre le trafic des drogues pour justifier ses actions.
Si le Venezuela connaît effectivement une « tragédie causée par la toxicomanie », il est disposé à collaborer pour résoudre ce grave problème de santé publique, a assuré le délégué de ce pays, renvoyant les États-Unis à leur « addiction au pétrole ». En effet, a-t-il dénoncé, « ils cherchent désespérément à contrôler toutes les sources pétrolières mondiales et croient que le pétrole vénézuélien leur appartient ».
Pour « éviter une catastrophe susceptible de bouleverser toute la région pendant des générations », le délégué du Venezuela a demandé au Conseil de reconnaître que l’escalade militaire actuelle des États-Unis représente une menace à la paix et à la sécurité internationales. Il a aussi réclamé l’adoption d’une résolution par laquelle tous les membres du Conseil, « y compris les États-Unis », s’engageraient à respecter la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de son pays.
Appels à la coopération et au respect de la Charte des Nations Unies
« Nous demandons simplement le respect de la Charte des Nations Unies. Ni plus ni moins », a insisté le Venezuela. Avant lui, d’autres délégations avaient également invoqué la Charte en réponse à la crise dans les Caraïbes. Les principes de coexistence pacifique entre les nations « ne sont pas de simples idéaux abstraits, mais des engagements contraignants », a ainsi rappelé l’Algérie, tandis que le Danemark jugeait essentiel de rechercher des solutions diplomatiques afin de progresser vers un règlement pacifique, conformément au droit international et aux principes fondamentaux de la Charte.
Les parties doivent user des canaux diplomatiques et des mécanismes internationaux existants pour remédier à toutes les préoccupations, a abondé la Somalie, soutenue par le Pakistan, selon lequel le règlement pacifique des différends est d’autant plus crucial que le monde est « fracturé ».
De même, a poursuivi la délégation pakistanaise, « la criminalité transnationale est un défi mais il faut y répondre par la coopération ». Sur la même ligne, le Panama a estimé qu’au-delà des réponses militaires, il est possible de faire face au fléau du narcotrafic, de la piraterie et d’autres activités illicites dans les eaux de la région « par des stratégies coordonnées et durables ».
Pour la France, cette lutte doit se faire dans le respect du droit international et des différentes conventions des Nations Unies applicables. Elle doit être menée dans le cadre d’une coopération internationale fondée sur le respect mutuel, la souveraineté et la solidarité, a renchéri l’Algérie.
Seul membre caribéen du Conseil, le Guyana a mis en avant la désignation de sa région comme « zone de paix », avant de plaider pour le renforcement des partenariats et de la coopération entre les pays et les organisations régionales et internationales afin de garantir une « approche unifiée et légale » de la lutte contre le narcotrafic et les crimes connexes. « Aucun pays d’Amérique latine, des Caraïbes ou d’Amérique du Nord n’est épargné par les effets dévastateurs du trafic illicite de drogues, d’armes et de munitions », a relevé la délégation, en appelant à une action collective.
La légitimité des autorités vénézuéliennes en question
Au cours des interventions, certaines délégations ont élargi le débat en mettant en cause la légitimité des autorités vénézuéliennes. Le Panama, par exemple, a dénoncé « l’une des dictatures les plus dures de la région », affirmant ne pas reconnaître le régime autoritaire et illégitime responsable de la grave crise que traverse le Venezuela. La délégation a réitéré son soutien au « Président élu », M. Edmundo González Urrutia, et exprimé sa solidarité avec le peuple vénézuélien, notamment les millions de personnes contraintes à l’exil.
Comme le Panama, les États-Unis ont affirmé ne reconnaître « ni Nicolás Maduro ni ses acolytes » comme représentant le Gouvernement du Venezuela. « Les actions et les politiques du régime illégitime de Maduro représentent une menace considérable pour la région et la sécurité nationale des États-Unis », a martelé le délégué américain.
Même son de cloche de la part du Royaume-Uni, qui a qualifié de « frauduleuse » la revendication du pouvoir par M. Maduro. Depuis les élections de juillet 2024, « qui n’étaient ni libres ni équitables », il continue d’intensifier la répression et de porter davantage atteinte aux droits fondamentaux de tous les Vénézuéliens, a accusé la déléguée britannique, assurant que son pays continuera de collaborer avec ses partenaires internationaux pour parvenir à une « transition négociée » au Venezuela.
Ces pays, auxquels se sont joints le Danemark et la France, ont profité de l’occasion pour féliciter l’opposante vénézuélienne Maria Corina Machado, qui, hasard du calendrier, s’est vue décerner aujourd’hui le prix Nobel de la paix. Cette récompense revient à « une personne inspirante qui a combattu sans relâche pour la démocratie, les droits humains et l’état de droit au Venezuela », a salué le Royaume-Uni, elle couronne « l’engagement de l’opposition vénézuélienne en faveur de la démocratie », selon la France.
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