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2001年08月13日
D但rles, Henri, ォ Le fran軋is en Nouvelle-Angleterre サ, La revue moderne, 1919.
I. DANS LE CONNECTICUT
Le trois avril mil neuf cent dix-huit, ? Washington, se tenait une assembl馥 convoqu馥 et pr駸id馥 par M. Lane, ministre dans le cabinet Wilson, dont l'objet 騁ait de promouvoir, dans toute l'騁endue des ノtats-Unis, ce que l'on a appel? d'un mot barbare, mais qu'il nous faut bien adopter, puisqu'il est d駸ormais consacr? : ? savoir l'am駻icanisation. Les d駘ib駻ations de cette assembl馥 se concr騁is鑽ent en des r駸olutions, dont la quatri鑪e et derni鑽e portait que ォ dans toutes les 馗oles primaires l'anglais soit la seule langue enseign馥 et la seule langue de l'enseignement. サSil'on se demande pourquoi un tel mouvement de chauvinisme surgissait tout ? coup au si鑒e m麥e de la R駱ublique, et comment il se fait que l'esprit am駻icain, r駱ut? pour 黎re si large et si lib駻al, ait soudainement propos? des mesures dont l'une, entr'autres, sautait aux yeux par son 騁roitesse, la seule r駱onse qui se pr駸ente est la m麥e qui a 騁? donn馥 ? propos de tout, dans les sombres ann馥s qui viennent de finir : ォ C'est la guerre ! サ
En effet, l'enregistrement de tous les hommes en 稟e de porter les armes, et l'appel des premi鑽es classes de conscrits furent, pour les autorit駸 des divers ノtats, l'occasion d'une ォ d馗ouverte サ. Elles s'aper輹rent alors que les ノtats-Unis formaient comme un immense mosa?que de peuples, qu'? peu pr鑚 toutes les races du globe s'騁aient donn? rendez-vous dans le sein hospitalier de l'Union. La n馗essit? de fondre au plus t?t, dans un esprit commun et national, ces multiples 駘駑ents emprunt駸 ? tous les pays de la terre, leur apparut comme le probl鑪e de l'heure. Ce n'est pas cependant que l'on e?t constat? chez ces ォ 騁rangers サ la moindre h駸itation ? r駱ondre ? l'appel du drapeau. Au contraire, leurs masses compactes avaient donn? l'exemple d'une discipline superbe dans les camps d'entra?nement; et l?-bas, sur les champs de bataille, elles faisaient leur devoir jusqu'? l'effusion du sang et jusqu'? la mort. Il semble que, pour tout homme raisonnable, il y avait dans ce fait une preuve suffisante d'am駻icanisation chez ces h騁駻og鈩es. Quand on meurt pour un pays, pour le drapeau auquel on a jur? all馮eance, cela doit 黎re signe qu'on l'aime, qu'on lui est fid鑞e. Que peut-on lui donner de plus ? Mais ces millions d'individus, dont la loyaut? s'騁ait affirm馥 de fa輟n 馗latante, avaient toujours la ォ tache originelle サ; ils venaient d'ailleurs; un sang 騁ranger coulait dans leurs veines. Et puis, l'on avait constat? que certains d'entre eux ne poss馘aient pas encore pleinement la langue anglaise, langue officielle du pays. Et, en vertu du plus niais des sophismes, celui qui ne sait pas la langue d'un pays ne pouvant avoir l'esprit de ce pays, l'on en concluait ? l'urgence de lancer un vaste mouvement d'am駻icanisation, par l'馗ole, — l'馗ole du soir pour les adultes, l'馗ole primaire pour les enfants, — avec la seule langue anglaise ? base de tout l'enseignement.
Je me demande si la grande guerre aura produit un effet beaucoup plus inattendu que celui-ci. Quand, sur la question essentielle de la participation de tous les citoyens aux oeuvres de guerre et ? la guerre m麥e, il y a eu l'unanimit? la plus touchante et la plus g駭駻euse, pourquoi venir soulever un d饕at tendant ? faire croire tout le contraire ? Nous nous sommes laiss? dire que c'騁ait uniquement les germano-am駻icains que l'on visait par l?, que c'騁ait ? leur esprit d'embusqu駸 et ? leur langue que l'on en voulait surtout. Pourquoi alors ne l'avoir pas signifi? ouvertement ? Pourquoi avoir laiss? planer sur les autres groupements ethniques qui se sont montr駸 fid鑞es ? leur serment, des soup輟ns injurieux ?
La mesure adopt馥 ? Washington, concernant la langue anglaise dans toutes les 馗oles primaires, ne rev黎ait pourtant pas le caract鑽e de loi : c'騁ait une invitation pressante, et comme une sollicitation, faite en haut lieu, ? tous les ノtats de l'Union am駻icaine. L'on demandait aux diverses l馮islatures de statuer dans ce sens, et de coop駻er activement ? l'oeuvre dont on indiquait les grandes lignes, en proposant la diffusion de l'anglais, son enseignement exclusif dans les 馗oles primaires, comme moyen efficace d'arriver au but commun : l'am駻icanisation.
Am駻icanisation, — quelgrand mot ! on en a plein la bouche. C'est tout un vers octosyllabique, — mais si peu musical. Nous supposons que cela veut dire simplement, en bon fran軋is, l'ensemble des qualit駸 qui doivent distinguer le citoyen des ノtats-Unis, lesquelles ne diff駻ent pas essentiellement de celles que doit poss馘er un citoyen de n'importe quel pays du monde. Ce sont des entit駸 d'un ordre g駭駻al, adapt馥s ? un milieu particulier, et comme recevant de ce milieu une physionomie sp馗iale. Mais ces entit駸 rel钁ent d'un fonds commun. Th駮dore Roosevelt, qui vient de mourir avec une discr騁ion qui a 騁onn? chez un tel homme, passe pour avoir 騁? le premier ? lancer ce vocable retentissant. Cet ancien pr駸ident ne manquait aucune occasion de faire du bruit; il ne pouvait se r駸igner ? rentrer dans la vie priv馥. Un besoin f饕rile d'action l'emp鹹hait de garder la dignit? de tenue, la r駸erve que l'on aurait pu s'attendre ? trouver chez un homme qui avait occup? une position si 駑inente. Comme pr駸ident, Roosevelt aura eu un tr鑚 beau r鑒ne. Mais parce que, une fois sorti de charge, il n'aura pas voulu consentir ? s'effacer, et qu'au contraire il aura eu recours aux moyens les plus vulgaires de cultiver une popularit? qui avait 騁? r馥lle, il aura baiss? dans l'estime de tous. Depuis son voyage d'Europe et ses fameuses chasses africaines, qui ne furent qu'une tartarinade dans les grands prix, surtout depuis le manque de tact diplomatique avec lequel il refusa de se plier aux l馮itimes exigences de l'騁iquette pontificale, lors de son passage ? Rome, aimant mieux ne pas faire de visite au Saint P鑽e que de se soumettre aux loyales et justes conditions qu'y mettait l'antique coutume vaticane, cet homme d'ノtat alla de mal en pis; on e?t dit qu'il prenait plaisir ? se fourvoyer. Cependant, rien ne semblait capable de le gu駻ir de son prurit de mouvement et d'agitation; aucune le輟n n'騁ait assez forte pour lui apprendre que l'on ne voulait plus de lui sur la sc鈩e. Son encombrante personnalit? ne perdait aucune chance de revenir ? la charge, de s'affirmer quand m麥e, et de battre la grosse caisse, afin que nul n'ignor穰 qu'il 騁ait toujours vivant. Priv? d'aller conduire sur les champs de bataille d'Europe un contingent de volontaires, du moins voulut-il guerroyer ici par la parole et par la plume, et frapper d'estoc et de taille, ? la Don Quichotte, trouvant que le gouvernement n'en faisait jamais assez pour la grande cause. Le dernier grand dada qu'aura enfourch? ce paladin fut donc ceci : l'am駻icanisation. Et comme Roosevelt conservait, malgr? tout, un reste d'influence, et que, surtout, le pays 騁ant ? une heure critique de son histoire, des penseurs ont m麥e dit ? un tournant de son 騅olution, pareil mot sonore et grandiloquent devait 騅eiller l'attention publique et soulever des 馗hos dans le monde officiel, un comit? se forma donc ? Washington sous l'impulsion directe de l'un des ministres, pour 駘aborer tout un programme en vue de traduire dans la pratique la th駮rie enclose dans la formule qu'il arborait comme signe. Encore une fois, l'opportunit? de ce mouvement 騁ait d'autant plus contestable que, de toutes les nations en guerre, les ノtats-Unis 騁aient celle o? la loi de conscription avait rencontr? l'adh駸ion la plus franche et la plus universelle. L'Union sacr馥 s'騁ait faite comme d'elle-m麥e pour donner ? l'effort am駻icain toute son ampleur et toute son efficacit?. Aux yeux de tout esprit r馭l馗hi, il y avait bien l? la preuve que tous ces foreign-born dont les noms remplissaient les listes d'enr?lement militaire, et qui avaient mis tant de joyeux empressement ? accourir sous le drapeau national, n'騁aient pas sans poss馘er d駛? l'騁at d'穃e patriotique qu'on parlait de leur infuser. Il semble que l'on se disposait ? pr鹹her ? des convertis. Qu'elle se tromp穰 d'heure ou d'adresse, l'impulsion partait de haut, et il 騁ait naturel que l'on v?t les ノtats accueillir le mot d'ordre et prendre les mesures n馗essaires pour assurer son ex馗ution.
Le premier, croyons-nous, ? saisir la balle au bond fut le Connecticut. D鑚 le vingt-cinq avril, ? peine quinze jours apr鑚 que la r駸olution washingtonienne e?t 騁? rendue publique, le gouverneur Marcus H. Holcomb, un homme assez populaire apparemment, puisqu'il vient d'inaugurer son troisi鑪e terme d'office, lan軋it une proclamation de laquelle nous extrayons ce qui suit :
Attendu que la langue (officielle) du pays est la langue anglaise, et qu'il est clair que, conform駑ent ? l'intention et ? l'esprit des statuts de l'ノtat du Connecticut, c'est en Anglais que les enfants de sept ? seize ans doivent apprendre ? lire, ? 馗rire, ? 駱eler, et acqu駻ir la connaissance de la grammaire anglaise, de l'arithm騁ique, de la g駮graphie, de l'histoire des ノtats-Unis, et qu'il n'est pas besoin de d駑onstration pour prouver que cela importe ? la s馗urit? de l'ノtat et de la nation :
Attendu qu'il est venu ? notre connaissance qu'en certaines 馗oles publiques et priv馥s de cet ノtat, l'enseignement des mati鑽es plus haut 駭um駻馥s est donn? en une autre langue que l'anglais, et m麥e, en quelques endroits, en la langue de certaines des puissances 騁rang鑽es avec lesquelles les ノtats-Unis sont maintenant en guerre;
Cons駲uemment, en vertu du pouvoir dont je suis rev黎u ? titre de Gouverneur de cet ノtat, j'ordonne qu'? partir du premier juillet 1918 :
Dans toutes les 馗oles publiques et priv馥s, l'on se serve exclusivement de la langue anglaise pour apprendre aux enfants ? lire, ? 馗rire, ? 駱eler, et pour leur enseigner la grammaire anglaise, la g駮graphie, l'arithm騁ique et l'histoire des ノtats-Unis; que l'anglais soit 馮alement la langue de l'administration; cependant, dans les 馗oles priv馥s, il sera permis de se servir d'une autre langue que la langue anglaise pour les exercices purement religieux, — except that a language other than English may be used for purely devotional purposes in private schools.
タ la prendre au pied de la lettre, cette derni鑽e clause veut donc dire que, pour ce qui est des pri鑽es qui se font dans les 馗oles priv馥s ou confessionnelles, elles pourront 黎re r馗it馥s dans la langue maternelle des enfants. M. le Gouverneur Holcomb est bien bon; il n'ose pas aller jusqu'? dicter le langage que devront employer les enfants des 馗oles priv馥s, quand ils s'adresseront au bon Dieu. Par une faveur insigne, par une exception ? l'ordre g駭駻al et absolu qu'il a port?, ils pourront prier selon les formules qu'ils auront apprises sur les genoux de leurs m鑽es, et, par exemple, s'ils sont canadiens-fran軋is d'origine, continuer ? dire ? Dieu, m麥e dans leurs classes : ォ Notre P鑽e サ, et ? la Sainte Vierge : ォ Je vous salue, Marie ! サ M. le Gouverneur Holcomb est bien large, en v駻it?. — Ainsi, dans toutes les 馗oles primaires du Connecticut, qu'elles appartiennent ? l'ノtat ou qu'elles rel钁ent de l'initiative priv馥, toute autre langue que l'anglais est abolie, sauf, pour ces derni鑽es, en ce qui concerne les exercices purement religieux.
Quelqu'un d'autoris? a voulu savoir si Monseigneur l'ノv麭ue de Hartford avait 騁? approch? et consult? par le Gouverneur ? ce sujet. Et voici la r駱onse transmise par message t駘駱honique : ォ Bishop Nilan was never consulted in school matters. Monseigneur Nilan n'a jamais 騁? consult? sur la question des 馗oles. サ
M. l'abb? Murray, chancelier du dioc鑚e, de qui est venu ce renseignement, a ajout? que lui-m麥e avait soumis des suggestions que M. Holcomb avait 馗art馥s (disregarded). Et il est bien 騅ident que l'autorit? dioc駸aine n'a pas 騁? saisie de la question, ou que, si elle l'a 騁?, l'on n'a tenu aucun compte de la direction qu'elle a donn馥. Car la proclamation de M. le Gouverneur Holcomb constitue une violation flagrante d'un principe sacr? de droit naturel. Nous n'envisagerons pas la question quant ? ce qui concerne les 馗oles de l'ノtat. Et cependant il y aurait beaucoup ? dire l?-dessus. Parce qu'elles sont la propri騁? de l'ノtat, il ne faudrait pas croire que l'ノtat puisse s'y arroger tous les droits. Je sais bien qu'elles s'inspirent de plus en plus de ce principe dont les cons駲uences sont incalculables, que l'enfant appartient ? l'ノtat; mais je sais aussi que ce principe est pernicieux, qu'il est diam騁ralement oppos? ? la doctrine catholique, que jamais l'ノglise ne l'admettra. Mettant donc de c?t? l'ordonnance gouvernementale en tant qu'elle peut affecter les 馗oles publiques du Connecticut, et la consid駻ant uniquement sous l'angle des 馗oles priv馥s ou confessionnelles, sp馗ialement des 馗oles franco-am駻icaines du Connecticut, j'ose la qualifier d'ing駻ence malheureuse, d'intrusion ill馮itime en un domaine qui 馗happe, de par sa nature, ? l'ostracisme dont pareille ordonnance le frappe. Voici des 馗oles que nos fr鑽es ont fond馥s et qu'ils soutiennent de leurs deniers. Jamais ils ne se sont plaints des sacrifices que leur entretien a demand駸, car ils ont toujours compris que ces sacrifices 騁aient n馗essaires, essentiels, et que l'avenir religieux des enfants en d駱endait. L'enfance a besoin de religion; l'enfant n? de parents catholiques a le droit absolu d'黎re form? selon les principes catholiques. Et o? le sera-t-il, si ce n'est sous des ma?tres catholiques et dans des 馗oles catholiques ? Car le seul cat馗hisme du dimanche ne suffit pas ? donner ? une 穃e d'enfant la physionomie qu'elle devra garder toute sa vie, ni ? lui imprimer l'orientation vers la v駻it? totale. Les 馗oles publiques sont neutres; elles ne s'occupent pas de religion; elles ne prennent pas parti entre les diverses confessions; elles sont cens馥s rester indiff駻entes en face de chacune. Et que sera l'enfant plus tard s'il est 駘ev? dans cet indiff駻entisme ? H駘as ! H駘as ! des millions de sujets perdus pour le catholicisme, aux ノtats-Unis, sont l? pour attester ce que vaut la neutralit? religieuse scolaire. Oui, nos 馗oles importent au salut 騁ernel de nos enfants, et c'est pourquoi leur fardeau ne nous semble jamais lourd ? porter. Or, partout, dans le Connecticut comme ailleurs, nos 馗oles. franco-am駻icaines sont bilingues, en ce sens que les mati鑽es requises par les programmes scolaires de l'ノtat comme devant 黎re enseign馥s en anglais, le sont effectivement, et que pardessus ce programme, sans pr駛udice de ce programme, l'on ajoute l'enseignement de la langue maternelle. Et ceci, personne ne peut nous l'enlever, ? moins de commettre la plus r騅oltante des injustices. L'anglais est la langue officielle du pays, c'est vrai, c'est la langue des lois, de la constitution, de la politique. L'ノtat peut demander que tous les citoyens du pays connaissent la langue du pays, pour des fins pratiques et peut-黎re id饌les. Mais du moment qu'il est prouv? que nos 馗oles, sur ce point, r駱ondent au voeu de l'ノtat et que nos enfants en sortent parfaitement outill駸 au point de vue de l'anglais, en quoi l'ノtat a-t-il le droit d'exiger la proscription d'une autre langue, de la langue maternelle ? Voil? qui est odieux en tant que cela est de nature ? entraver le succ鑚 de l'oeuvre que nous poursuivons dans le maintien de nos 馗oles, et qui est, par la survivance de la langue, d'aider ? la survivance de la foi, — odieux, oui, et ridicule en plus, d'un grotesque achev?. Et, si j'avais l'honneur de rencontrer le Gouverneur du Connecticut, M. Marcus H. Holcomb, je lui tiendrais ? peu pr鑚 ce langage :
ォ Excellence, — vous occupez une position 駑inente, la plus haute ? laquelle un citoyen puisse pr騁endre dans un ノtat. Cette position comporte beaucoup d'honneurs; il s'y attache aussi de grands pouvoirs et de non moins grandes responsabilit駸. Je crois sinc鑽ement que vous la devez, non pas aux jeux de la politique et du hasard, mais ? vos qualit駸 et ? vos m駻ites. Je me plais ? saluer en vous un v駻itable patriote, impr馮n? d'esprit am駻icain. Cet esprit, il est juste que vous d駸iriez le voir se r駱andre parmi vos constituants. Il vous appara?t comme un id饌l auquel tout citoyen de cette grande R駱ublique doit t稍her de se conformer. Mais prenez garde. Le patriotisme est chose sacr馥. Apr鑚 le sentiment religieux, c'est le plus noble que la Providence ait d駱os? dans le coeur de l'homme. C'est une forme de l'amour. Et, s'il ne faut pas badiner avec l'amour, il ne faut pas davantage badiner avec le patriotisme. Cependant, vous avez assez d'exp駻ience de la vie pour savoir que l'amour est souvent profan?, h駘as ! Comme on en abuse facilement ! Que de choses l'on accomplit en son nom, et qui n'en sont que la parodie ! ノgalement, il est ais? d'abuser du patriotisme. Un grand penseur fran軋is, et l'un des ma?tres de notre langue, Joseph de Maistre, a dit cette parole redoutable : ォ Le patriotisme est le dernier refuge des sc駘駻ats. サ Et de quoi donc voulait-il parler, si ce n'est de la contrefa輟n du patriotisme, qui ? servi ? tant d'hommes au pouvoir pour couvrir leurs m馭aits ? Certes, vous ne voudriez pas donner pareil exemple, et, sous couleur de pr鹹her l'attachement au drapeau de notre pays, promulguer des lois restrictives de ces libert駸 humaines dont il est le symbole et le gardien. Et loin de nous la pens馥 que vous vouliez jamais, de plein gr?, porter atteinte ? rien de ce qui est sacr? au coeur de tout homme bien n?. Cependant, votre bonne foi n'a pas 馗happ? ? ce qui nous semble 黎re un gros 馗ueil. Et vous me permettrez bien de chercher ? vous ouvrir les yeux, et ? vous signaler le pi鑒e subtil dans lequel, au nom du patriotisme, je ne sais quelles secr鑼es influences vous ont fait tomber. Vous avez sign? derni鑽ement une Proclamation ? l'effet de supprimer, dans l'enseignement primaire de toutes les 馗oles de votre ノtat, toute autre langue que l'anglais. Et la raison premi鑽e et derni鑽e sur laquelle vous appuyez cette mesure radicale est la n馗essit? d'am駻icaniser tous les citoyens. Avez-vous bien r馭l馗hi que la base sur laquelle repose cette ordonnance est 駑inemment fragile, et qu'elle ne suffit pas ? la justifier ? Je ne le crois pas. Vous avez agi tr鑚 vite, trop vite. Vous connaissez sans doute cette parole d'un grand homme d'ノtat et de l'un des plus fins diplomates qu'ait produits l'Europe : ォ Surtout, pas trop de z鑞e ! サ Elle est de Talleyrand, dont l'amour pour son pays ne fut pas contestable et dont les habiles n馮ociations ont redonn? ? la France vaincue et mutil馥 son prestige de grande puissance. Mais Talleyrand 騁ait un personnage averti, et il savait que certaine forme de z鑞e soi-disant patriotique peut faire plus de mal que de bien au pays que l'on pr騁end aider. Eh bien ! Excellence, avec tout le respect que je dois ? votre titre et ? votre autorit?, je me permets de vous dire que vous avez p馗h? par exc鑚 de z鑞e, et que cela est aussi condamnable que de p馗her par d馭aut, et peut-黎re davantage, parce que, ainsi que dans le cas pr駸ent, ce p馗h? rev黎 un caract鑽e de sectarisme et d'騁roitesse de vues qui ne s'harmonisent pas le moins du monde avec le v駻itable esprit de la Constitution am駻icaine. Je suis bien s?r que vous n'avez pas pens? faire oeuvre sectaire; je me plais ? imaginer que vos intentions 騁aient de tous points excellentes. Mais le fait est l?, concret, brutal, et vous ne pouvez emp鹹her qu'il n'ait physionomie rev鹹he et qu'il ne fasse peu d'honneur ? la vraie libert?, la longue tradition de ce pays. Et pour tout vous dire, votre loi sans nuances, je la d馭inirai d'un mot qui vous ira bien peu, ? vous qui, avec raison, d騁estez tant les Boches : ォ Nimis Germanicum ! Trop allemand ! サ Aussi veux-je vous soumettre ici des r馭lexions de bon sens, dont je souhaite qu'elles contribuent ? vous tirer de votre mauvais pas, et ? vous faire renverser une mesure qui s'allie si mal avec ce que l'on attend de l'homme d'ノtat am駻icain. La langue officielle de ce pays 騁ant l'anglais, tous les citoyens doivent le savoir et le parler. Il faut n馗essairement un moyen de communication entre les multiples 駘駑ents qui composent la nation, un terrain d'entente et d'馗hange d'id馥s sur toutes les questions de politique int駻ieure ou internationale. Notre R駱ublique est vraiment la chose du peuple; elle pratique le suffrage universel, qui est, pour de grands esprits, ォ le r鑒ne de l'incomp騁ence サ. Mais peu importe. II en est ainsi. Chacun est appel? ? participer aux affaires. Et la langue dans laquelle ces affaires se transigent 騁ant l'anglais, nous conc馘ons volontiers qu'il faut que tous apprennent l'anglais. Que la diffusion de cette langue dans toutes les classes et ? tous les degr駸 de la soci騁? puisse servir ? 騁ablir ce que l'on appelle un m麥e esprit national, un m麥e 騁at d'穃e am駻icain, je serais tout pr黎 ? le conc馘er, — quoique ici, je demande ? faire observer que l'on peut poss馘er la langue d'un pays et n'en pas poss馘er l'esprit le moins du monde. Et j'en donnerais des preuves : la nation irlandaise a bien adopt?, voici des si鐵les, la langue de ses pers馗uteurs, le parler britannique. Osera-t-on affirmer qu'elle a, par le fait m麥e, adopt? l'esprit britannique ? L'histoire, la psychologie disent le contraire. Et les Juifs, cette race inassimilable, qui si facilement apprennent le langage des divers pays o? ils s'騁ablissent, croyez-vous qu'ils en deviennent, pour tout cela, ou fran軋is ou anglais, ou russes ou am駻icains ? O? qu'ils soient, et malgr? leur prodigieuse adaptation linguistique, ils restent au fond des Juifs, des m騁鑷ues, essentiellement r馭ractaires ? tout autre id饌l national que le leur ? —Pour 黎re bon prince, je conc馘erai toutefois qu'un m麥e parler puisse, de fa輟n ordinaire, favoriser la cr饌tion d'un m麥e esprit. Mais ce que je ne vois pas, ce que ma raison se refuse ? admettre, ce que mon coeur r駱rouve ? accepter, c'est la th駮rie b穰arde de laquelle est n馥 votre proclamation, Excellence, ? savoir que non-seulement il faut apprendre et savoir l'anglais ici, mais qu'il faut n'apprendre et ne savoir que l'anglais, et que c'est ? ce prix seulement que l'on peut devenir bon citoyen am駻icain. En v駻it?, cela renverse toutes mes notions, cela me d駱asse. En quoi, le fait, pour un enfant, de cultiver, ? c?t? de la langue officielle du pays de son all馮eance, la langue de ses p鑽es, la langue o? se refl鑼e son 穃e et dans laquelle seule peut v駻itablement s'exprimer sa pens馥, la langue de sa foi et de ses pri鑽es, la langue toute charg馥 pour lui de souvenirs, de traditions et de gloire, oui, je demande en quoi cela peut entraver sa formation de bon citoyen ? Ah ! le patriotisme, c'est une chose complexe. On ne l'est pas par la langue et de bouche surtout et d'abord. On l'est par le coeur et par l'穃e. Le patriotisme, c'est une chose de l'穃e. Et sa premi鑽e qualit?, c'est la loyaut?, la fid駘it?, l'honneur. Or l'honneur ne demande-t-il pas que l'on conserve et que l'on cultive ce que la nature nous a donn? ? N'est-ce pas une prescription de droit naturel d'黎re fid鑞e ? l'h駻itage sacr? qui nous vient des anc黎res, que cet h駻itage soit la foi ou qu'il soit la langue ? Et vous, Excellence, qui pr騁endez former la jeunesse au culte de l'honneur national, vous commencez par fouler aux pieds le privil鑒e intangible d'un p鑽e et d'une m鑽e de cultiver chez leur enfant la fid駘it? ? cette chose qui s'appelle la langue maternelle ? Eh ! quoi, vous voulez ouvrir l'穃e de l'enfance ? l'honneur, et vous commencez par la forcer ? m駱riser ce que l'honneur lui commande de respecter et d'aimer ? Etrange proc馘? d'am駻icanisation quiconsiste ? vouloir qu'une race apostasie afin de devenir vraiment am駻icaine ! Comme si la pratique de l'infid駘it?, de la d駘oyaut?, sur un point aussi essentiel que celui-l?, la langue maternelle, — pouvait engendrer meilleure loyaut? au drapeau ! Votre loi, Excellence, va donc ? rebours de ce que vous voulez obtenir; elle vous 駘oigne de votre id饌l; et parce qu'elle aura extirp? du coeur des jeunes g駭駻ations des sentiments sacr駸, elle n'aura fait qu'appauvrir le sol dans lequel vous vouliez implanter l'amour de la patrie. C'est une loi qui diminue l'humanit?, et cela suffit ? la juger. Un penseur a dit, en tirant les le輟ns de la d馭aite de l'Allemagne et du triomphe des Alli駸 : ォ Cette guerre montre quelle sombre mis鑽e c'est de vouloir s駱arer l'id饌l humain de l'id饌l national. Un peuple qui ne sait pas les joindre est un peuple perdu. サ
L'Allemagne n'a pas su les joindre, et c'est pourquoi elle a sombr? dans l'ab?me. Ici, aux ノtats-Unis, l'on a un id饌l national. Mais il faut veiller ? ce que cet id饌l ne vienne pas en conflit avec l'id饌l humain, car alors nous serions un peuple perdu. Excellence, ce conflit existe dans votre ノtat, de par votre Proclamation. Vous serez assez intelligent patriote pour le faire dispara?tre. Songez donc ? ce qui adviendrait si votre n馭aste exemple se propageait. L'unification linguistique que vous pr?nez chez vous serait-elle avantageuse ? aucun point de vue ? Ce serait amoindrir les races diverses qui pullulent ici, par cons駲uent amoindrir le capital national, si je puis ainsi parler, attaquer les r駸erves fonci鑽es sur lesquelles reposent nos plus grandes destin馥s. Toutes choses 馮ales, croyez-vous que celui qui ne sait qu'une seule langue vaut autant que celui qui en sait deux ? Et quand il s'agit du fran軋is en particulier, ah ! je n'en finirais pas si je voulais vous d騁ailler, outre les principes d'ordre naturel d駛? 駭onc駸, les raisons pratiques qui militent en faveur de sa pr駸ervation, je ne dis pas seulement pour notre bien ? nous, mais pour le bien g駭駻al du pays, pour sa plus grande influence dans les affaires internationales ? Est-ce que M. le Pr駸ident Wilson ne se f駘iciterait pas, ? l'heure qu'il est, de pouvoir parler couramment le fran軋is, langue de la diplomatie ? Est-ce qu'il ne se sent pas secr鑼ement humili? de ne pouvoir traiter en cette langue des grandes questions qui lui sont soumises ? Son prestige d'homme ノtat, ne serait-il pas encore plus consid駻able,si, ? tous ses m駻ites, il ajoutait celui de pouvoir s'exprimer dans un parler accept? universellement comme celui de la civilisation la plus haute et la plus lumineuse qui soit ? Est-ce que, dans la grande guerre, ceux de nos soldats ou officiers qui savaient le fran軋is et l'anglais n'ont pas 騁? ? m麥e de rendre doubles services ? Le fran軋is, d'ailleurs, contient en puissance l'anglais. Et vous devriez le r騁ablir dans les 馗oles, laisser nos fr鑽es de l?-bas l'enseigner largement ? leurs enfants, ne f?t-ce que pour cette raison 騅idente que le fran軋is donne la clef de ce cher parler anglais qui vous tient tant ? coeur. Mais il en est d'autres, et de toute nature. Je me flatte, Excellence, de vous en avoir expos? les principales. Une derni鑽e, et non des moindres, est qu'il vous e?t 騁? difficile d'黎re plus disgracieux envers la France, notre sublime alli馥, la France, m鑽e de notre pays, puisque c'est elle qui l'a engendr? ? la libert?, qu'en englobant sa langue exquise et radieuse dans la r駱robation g駭駻ale dont vous avez frapp? ce que votre Proclamation appelle les parlers 騁rangers. La France est trop fi鑽e pour s'en plaindre. Mais croyez bien qu'elle en souffre d駛?, qu'elle s'en 騁onne, et qu'apr鑚 avoir tant vers? de larmes et de sang, non pas seulement pour son salut personnel, mais pour celui du monde entier, pour le n?tre, aussi bien, elle 騁ait loin de penser que des mains amies, des mains am駻icaines, viendraient ajouter ? ses deuils, et torturer son coeur. Souffrez que je fasse 馗ho ? sa peine, et qu'au nom des 駱reuves subies ensemble, au nom des triomphes ensemble remport駸, au nom des grands principes d'humanit?, de civilisation, de libert? pour lesquels Elle et nous avons combattu, au nom de l'Alliance plus que s馗ulaire des ノtats-Unis et de la France, et que la grande guerre a rendue indestructible, je vous demande, Excellence, de rapporter une Proclamation douloureuse au coeur de la France, et peu honorable pour vous, premier citoyen d'un grandノtat de l'Union am駻icaine. サ
ォ Excellence, je vous dis adieu jusqu'au revoir. サ
Source : Henri D’Arles, ォ Le fran軋is en Nouvelle-Angleterre サ, dans La Revue Moderne, janvier 1919, pp. 6-18. Des erreurs typographiques mineures ont 騁? corrig馥s.
ゥ 2001 Claude B駘anger, Marianopolis College